Le Bal Des Maudits - T 2
confortablement assis sur une pierre, au milieu de ses camarades déchiquetés, et tirant calmement sur la mitrailleuse qu’à l’œil nu il devait à peine distinguer, sans s’occuper des rafales meurtrières qui, tôt ou tard, finiraient par le tuer, avait quelque chose d’hallucinant.
– Tuez-le, murmura Christian exaspéré. Mais tuez-le donc !
Heims cessa de tirer, loucha consciencieusement et déplaça le corps de la mitrailleuse. Elle grinça. Le bruit du fusil monta de la vallée, anodin et vide, bien que les balles fussent très proches de la tête de Christian.
Puis Heims trouva son angle de tir et pressa la détente. Une seule rafale brève, juste quelques balles. L’Américain posa son fusil, avec des gestes de pochard. Il se leva, marcha fermement vers le pont, et, au bout de trois pas, se coucha dans la poussière, comme s’il avait senti, soudain, à quel point il était fatigué.
À ce moment, le pont sauta. Des débris de silex hachèrent les feuillages alentour. La poussière mit un temps infini à se redéposer, mais, lorsque ce fut fait, Christian distingua, dans les ruines, les uniformes épars, couleur de boue. L’Américain à demi nu avait disparu sous une petite avalanche de terre et de cailloux.
Christian soupira, posa ses jumelles. « Que font tous ces amateurs dans cette guerre de professionnels ? » pensa-t-il.
Heims s’assit, se retourna.
– Pouvons-nous fumer, à présent ? demanda-t-il.
– Oui, dit Christian, vous pouvez fumer.
Il regarda Heims sortir de sa poche un paquet de cigarettes. Heims en offrit une à Richter, qui l’accepta silencieusement. Mais il s’abstint d’en offrir une à Christian. « Le salaud », pensa amèrement Christian. Il sortit l’une de ses deux dernières cigarettes, la tint longuement entre ses lèvres, la touchant du bout de la langue, jouissant de sa simple présence. Puis, avec un soupir de bien-être, il l’alluma, en pensant : « Je l’ai bien gagnée ». Il aspira la fumée et la retint le plus longtemps possible, avant de se décider à la rejeter. Elle l’étourdissait et le détendait à la fois. « Il faudra que j’écrive à Hardenburg, songea-t-il, il sera content ; il n’aurait pas fait mieux lui-même. » Il s’installa confortablement, soupirant à grands coups, souriant au ciel bleu, suivant du regard les jeux espiègles des petits nuages, sachant qu’il pourrait se reposer une bonne dizaine de minutes avant que Dohn les rejoigne. « Quelle belle matinée », pensait-il.
Puis il sentit les longs frissons naître lentement sur tout son corps. « Ah, pensa-t-il délicieusement, la malaria, et ce ne sera pas une petite attaque, et il faudra bien qu’ils m’envoient à l’arrière. Quelle matinée parfaite ! » songea-t-il de nouveau. Il frissonna de nouveau et tira sur sa cigarette. Puis il s’allongea contre le rocher, attendant Dohn, espérant que Dohn mettrait très longtemps à les rejoindre au sommet de la pente.
22
Debout , soldat Whitacre, dit le sergent. Michael se leva et le suivit. Ils entrèrent dans une vaste pièce aux portes monumentales, qu’éclairaient de longs cierges dont les miroirs vert pâle qui garnissaient les murs reflétaient à l’infini les lumières.
Il y avait la longue table polie, la chaise unique, au milieu, conformément à ce que Michael avait toujours imaginé. Il s’assit sur la chaise, et le sergent resta debout, près de lui. Il y avait un encrier, sur la table et un simple porte-plume de bois.
Une autre porte s’ouvrit et les deux Allemands entrèrent. Deux généraux, en uniformes de gala. Leurs décorations, leurs bottes, leurs éperons, leurs monocles luisaient faiblement à la lueur des cierges. Ils s’arrêtèrent devant la table et, avec un claquement de talons mémorable, saluèrent.
De sa chaise, Michael leur rendit gravement leur salut. L’un des généraux déboutonna sa tunique, en tira lentement un rouleau de parchemin qu’il remit au sergent. Le sergent le déroula, l’étala sur la table en face de Michael.
– L’acte de reddition dit le sergent. Vous avez été choisi pour accepter la reddition de l’Allemagne pour le compte des Alliés.
Michael acquiesça et jeta un coup d’œil sur les documents. Ils paraissaient en ordre. Michael saisit le porte-plume et le trempa dans l’encrier. « Michael Whitacre, 32 403 008, soldat de première classe, États-Unis d’Amérique », écrivit-il d’une
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