Le Bal Des Maudits - T 2
sur la pelouse.
Ce fut le signal d’une exécution générale. En raison du manque d’armes, la plupart des gardes furent simplement piétinés jusqu’à ce qu’ils mourussent. Christian se garda bien d’intervenir ou de montrer quoi que ce soit sur sa physionomie. Il n’osait pas, non plus, courir vers la porte du camp, parce que le borgne était toujours derrière lui, s’approchait de lui. se collait à lui.
– Eh toi ? dit le borgne.
Christian sentit la main de l’homme se poser sur son épaule, palper, sous la veste de coton, le gros drap de son uniforme,
– Je veux te parler…
Et soudain Christian agit. Le vieux commandant était adossé au mur, près de la porte d’entrée. Ses mains esquissaient des petits gestes d’apaisement.
Les prisonniers le cernaient, mais ne l’avaient pas encore tué. Christian fendit la foule et prit le vieux commandant par la gorge.
– Oh ! mon Dieu ! cria l’homme, très fort. Le son était surprenant, tant les autres exécutions s’étaient déroulées dans le plus profond silence.
Christian sortit rapidement son couteau. Maintenant, d’une main, le commandant plaqué contre le mur, d’un seul coup, il lui trancha la gorge. L’homme émit un son bouillonnant, horrible, jeta un cri. Christian s’essuya les mains sur la tunique du commandant, et le laissa tomber. Lui, du moins, avait eu la chance de mourir sur le coup. Christian se retourna pour voir si le borgne l’observait toujours. Mais, satisfait, l’homme avait disparu.
Christian soupira et, le couteau à la main, pénétra dans le chalet. Il y avait des cadavres un peu partout, et les prisonniers libérés retournaient les bureaux et dispersaient aux quatre vents les archives du camp.
Trois ou quatre hommes occupaient le bureau du commandant. La porte du placard était ouverte. L’homme à demi nu que Christian avait assommé gisait sur le plancher, à l’endroit où il l’avait laissé. Les prisonniers buvaient tour à tour à la bouteille de cognac qu’ils avaient trouvée sur la table du commandant. Lorsqu’ils eurent vidé la bouteille, l’un d’eux la lança contre la peinture radieuse des Alpes en plein hiver.
Personne ne faisait attention à Christian. Il se jeta à quatre pattes et reprit sa mitraillette sous le canapé.
Christian retraversa le hall, quitta le chalet, et, pour la seconde fois, se perdit dans la foule des prisonniers. Beaucoup d’entre eux étaient armés, maintenant, et Christian savait qu’il pouvait porter son Schmeisser en toute sécurité. Il marchait lentement, toujours au milieu des groupes. Il ne voulait pas, en se tenant à l’écart, risquer d’attirer l’attention de quelque prisonnier au regard et à l’esprit encore assez vifs pour voir qu’il avait les cheveux beaucoup plus longs que ceux des autres et beaucoup plus de chair sur le dos que la plupart d’entre eux.
Il parvint au portail. Le garde qui l’avait accueilli, à son arrivée, et lui avait fait ouvrir la porte, gisait contre les barbelés, une expression bizarrement souriante sur son visage piétiné. De nombreux prisonniers étaient groupés autour du portail, mais fort peu osaient le franchir. C’était comme s’ils avaient accompli tous ce qui leur était humainement possible pour une seule journée. La libération des baraquements avait épuisé leur conception de la liberté. Ils se tenaient près des battants largement ouverts et regardaient le paysage verdoyant, et la route par laquelle arriveraient les Américains, attendant les Américains pour savoir enfin ce qu’ils devaient faire. Ou peut-être qu’une partie tellement importante de leur profondeur émotionnelle était liée à cet endroit qu’en ce moment de délivrance ils ne pouvaient plus le quitter, mais sentaient obscurément la nécessité de demeurer sur place, d’examiner longuement ces lieux où ils avaient souffert et où ils venaient enfin d’accomplir leur vengeance.
Christian fendit le groupe d’hommes qui entourait le garde de la Volkssturm. Son arme sous le bras, il marcha rapidement sur la route, à la rencontre des Américains. Il n’avait pas osé prendre la direction opposée. L’un des prisonniers aurait pu le remarquer et lui demander pourquoi il s’enfonçait plus profondément au cœur de l’Allemagne.
Christian marchait rapidement, en boitant un peu et respirant profondément, pour débarrasser ses narines de l’odeur du camp. Lorsqu’il fut hors de vue des abords du
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