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Le Bal Des Maudits - T 2

Le Bal Des Maudits - T 2

Titel: Le Bal Des Maudits - T 2 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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s’enflait toujours, au-dehors, et la fusillade était continue. « Dépêche-toi ! » gronda Christian.
    L’homme avait fini d’enlever son pantalon. Il était très maigre et portait des sous-vêtements grisâtres coupés dans de la toile de sac. « Viens ici », dit Christian.
    Le prisonnier obéit. Christian le frappa avec sa mitraillette. Le canon de la mitraillette atteignit l’homme en plein front. Il fit un pas en arrière et tomba sur le plancher. Le coup n’avait laissé qu’une marque imperceptible, au-dessus de ses yeux. Christian le prit par la gorge, à deux mains, et le traîna jusqu’à la porte d’un placard, à l’autre bout de la pièce. Il ouvrit le placard, y poussa l’homme évanoui. Une capote d’officier et deux tuniques étaient suspendues à l’intérieur de ce placard. Elles sentaient légèrement l’eau de Cologne.
    Christian referma le placard et regagna d’un bond l’endroit où les vêtements du prisonnier gisaient sur le sol. Il commença à déboutonner sa tunique. Mais le vacarme paraissait se rapprocher, à l’intérieur du bâtiment, et il jugea qu’il n’avait pas le temps d’ôter son uniforme. Rapidement, il enfila la tenue zébrée du prisonnier par-dessus ses propres vêtements, boutonna la veste jusqu’au cou. Il se regarda dans le miroir accroché à la porte du placard. On ne voyait pas son uniforme. Il chercha un endroit où cacher sa mitraillette et la jeta sous le canapé. Il n’avait gardé que son couteau de tranchée, dans son étui, sous la veste rayée. La veste sentait le chlore et la sueur.
    Christian retourna à la fenêtre. Toutes les portes des baraquements devaient être à présent enfoncées, et les prisonniers grouillaient à l’intérieur des barbelés. Ils n’en finissaient pas de tuer les gardes, et la fusillade durait toujours de l’autre côté des locaux administratifs, mais, de ce côté-ci, personne ne tirait plus.
    À cent mètres de là, un groupe de prisonniers enfonçait la porte à deux battants d’une sorte de hangar. Lorsque la porte s’abattit, ils s’engouffrèrent à l ’intérieur et ressortirent en mangeant des pommes de terre crues et de la farine non préparée qui les transforma rapidement en sinistres Pierrots. Penché sur l’un des gardes, un prisonnier à la stature imposante l’étouffait lentement, entre ses genoux, les deux mains crispées autour de la gorge du garde. Soudain, il lâcha le garde toujours vivant, se fraya un chemin jusqu’au hangar et en ressortit, les mains pleines de pommes de terre.
    Christian écarta les battants de la fenêtre et, sans hésiter, se suspendit à la barre d’appui. Il tomba sur les genoux, se releva aussitôt, perdu dans une mer d’hommes vêtus comme lui. L’odeur et le vacarme étaient insupportables.
    Christian se dirigea vers le portail. Un homme décharné, dont l’un des yeux n’était plus qu’un amas vide de chair cicatrisée, regarda fixement Christian, au passage, et se mit à le suivre. Christian était certain que l’homme le soupçonnait, et il tenta de s’éloigner rapidement, sans attirer l’attention de ceux qui l’entouraient. Mais la foule était dense, devant le chalet tyrolien. Et le borgne ne quittait pas Christian d’une semelle.
    Les gardes cernés dans le chalet venaient de se rendre et descendaient, par paires, les marches du perron. Un calme insolite plana un instant sur la masse des prisonniers libérés. Sans comprendre, ils regardaient leurs anciens gardes-chiourmes. Puis un grand type chauve tira de sa poche un vieux couteau rouillé. Il cria quelque chose, en polonais, saisit le garde le plus proche par le col de son uniforme, et tenta de l’égorger. Le couteau était émoussé, et le garde devait beaucoup souffrir, mais il ne chercha pas à crier, ni à se débattre. C’était comme si la mort et la torture avaient été si banales en ces lieux que leurs victimes elles-mêmes s’y soumettaient sans résister, quelles qu’elles fussent. L’inutilité de demander grâce avait été si profondément et si fréquemment démontrée que personne, aujourd’hui, ne s’en donnait la peine. Le garde capturé, un homme de quarante-cinq à cinquante ans, à l’allure d’un rond-de-cuir-se contenta de se laisser aller contre l’homme qui l’assassinait, ses yeux à quinze centimètres de ceux du Polonais, jusqu’à ce que le couteau rouillé sectionnât enfin la carotide et que l’homme s’affaissât, sanglant,

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