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Le Bal Des Maudits - T 2

Le Bal Des Maudits - T 2

Titel: Le Bal Des Maudits - T 2 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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camp, il quitta la route. Il était très fatigué, mais il ne ralentit pas l’allure. Il décri vit un vaste cercle à travers champs et contourna le camp sans encombre. Il traversa une forêt, emplissant ses poumons du parfum composé des bourgeons, des pins et des petites fleurs sylvestres, roses et pourpres sous ses pieds. Au bout d’un certain temps, il retrouva la route tachée de soleil, vacante et libre devant lui. Mais il était trop fatigué pour marcher davantage. Il ôta les vêtements zébrés à l’odeur de sueur et de chlore, les roula en boule, et les jeta dans un buisson.
    Puis il s’allongea, la tête sur une racine. L’herbe nouveau-née poussait, verte et fraîche autour de lui, sur le sol de la forêt. Au-dessus de lui, dans les ramures, deux oiseaux échangeaient des romances et se poursuivaient, bleus et or, parmi les branches agitées et les rayons de soleil égarés dans les feuillages. Christian soupira, s’étira et s’endormit.

38
     
     
     
    L E silence se fit à l’intérieur des camions lorsque le convoi s’arrêta devant le portail ouvert. L’odeur seule eût suffi à leur imposer silence, mais il y avait, aussi, les cadavres étendus à l’entrée du camp et derrière les barbelés, et la masse mouvante des épouvantails en haillons zébrés qui, telle une marée monstrueuse, se referma bientôt autour des camions et de la Jeep du capitaine Green.
    Eux aussi étaient silencieux, ou presque. Beaucoup pleuraient, beaucoup essayaient de sourire, mais ni les larmes, ni les sourires n’altéraient sensiblement l’apparence de leurs visages semblables à des têtes de morts ni de leur yeux perdus au fond d’orbites caverneux. C’était comme si l’affreuse tragédie vécue par ces misérables créatures avait abaissé le plan des réactions humaines jusqu’au niveau d’un désespoir animal, et que les manifestations extérieures du bonheur comme du chagrin fussent provisoirement au-delà de leurs primitifs moyens d’expression. En observant attentivement ces masques rigides, ces masques de mort, Michael devina que de nombreux prisonniers s’imaginaient sourire, mais il fallait, pour le comprendre, faire preuve de beaucoup d’intuition.
    C’était à peine s’ils tentaient de parler. Ils se contentaient de toucher les choses – le métal des camions, les uniformes des soldats, les canons des fusils, – comme si le contact direct des objets contre leurs doigts était encore seul capable de leur faire comprendre cette nouvelle et bouleversante réalité.
    Green ordonna à ses hommes de laisser les camions où ils étaient, y posta quelques gardes et conduisit lentement sa compagnie à travers la fourmilière agitée des prisonniers libérés.
    Michael et Noah étaient juste derrière Grenn lorsque le capitaine franchit le seuil du premier baraquement. La porte et presque toutes les fenêtres avaient été enfoncées, mais, malgré les courants d’air, l’odeur dépassait l’endurance des narines humaines. Dans l’air pourri, percé de-ci de-là par les rayons poussiéreux du soleil printanier, Michael distingua des formes anguleuses qu’il prit, au premier abord, pour des tas d’os empilés. Le plus terrible, c’était que certains de ces os se mouvaient. Là, c’était un bras languissamment levé, plus loin, une paire d’yeux brûlants dans le clair-obscur empoisonné, ou l’insensible torsion de lèvres presque disparues, sur des crânes que toute vie semblait avoir abandonnés depuis des jours et des jours. Dans les profondeurs du baraquement, une forme se détacha d’un amas de chiffons et d’os et entama une lente avance, sur les mains et les rotules, dans la direction de la porte. Plus près, un homme se leva, et, comme un automate rudimentaire, mal adapté au mécanisme de la marche, avança vers Green. Michael devina que l’homme s’imaginait sourire, et sa main droite était tendue, en un geste de bienvenue absurdement banal et quotidien. Jamais l’homme n’atteignit le capitaine Green. La main toujours tendue, il s’écroula sur le plancher souillé d’ordures. Michael se pencha vers lui. L’homme était mort…
    « Le centre du monde, répétait un fou à l’intérieur du cerveau de Michael, agenouillé près de l’homme qui venait de mourir aussi facilement, en silence, sous ses yeux : Je suis au centre du monde… centre du monde. »
    Le mort à la main tendue avait mesuré un mètre quatre-vingt. Il était nu et chacun de ses os

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