Le Bal Des Maudits - T 2
hiver accroché au centre d’un des panneaux du mur. Dites-moi, pensez-vous que les Américains arriveront aujourd’hui ?
– Je l’ignore, mon lieutenant, dit Christian. Vous n’avez pas écouté la radio ?
– La radio, soupira le lieutenant. On ne comprend plus rien à ce que dit la radio. Ce matin, Berlin laissait entendre que les Russes et les Américains se battaient entre eux, sur l’Elbe. Croyez-vous que ce soit possible ? ajouta-t-il vivement. Après tout, n’est-ce pas, nous savons tous que c’est inévitable…
« Encore un nouveau mythe », pensa Christian, ou plutôt la continuation du même.
– Évidemment, mon lieutenant, dit-il. Je n’en serais nullement surpris.
Il se dirigea vers la porte, mais s’arrêta en entendant le bruit.
On eût dit un murmure d’eau courante, croissant rapidement en intensité, qui pénétrait dans le bureau par les fenêtres ouvertes, à travers les jolis rideaux. Et, soudain, deux coups de feu ponctuèrent ce murmure. Christian courut à la fenêtre, regarda au-dehors. Deux hommes en uniforme couraient lourdement vers le bâtiment administratif. Christian les vit jeter leurs fusils, sans cesser de courir. C’étaient des hommes corpulents, qui ressemblaient aux personnages publicitaires de la bière de Munich, et ils ne couraient pas très vite. De derrière l’un des baraquements surgit un homme en tenue de prisonnier, puis trois autres, puis une foule d’autres. Et tous couraient après les deux gardes. Le premier prisonnier s’arrêta une seconde pour ramasser le fusil abandonné par l’un des gardes. Il ne chercha pas à faire feu, mais le prit sous son bras, et se remit à courir. C’était un très grand type, avec des jambes interminables, et il gagnait du terrain avec une rapidité effrayante. Tenant le fusil par le canon, il lui fit décrire un vaste moulinet. L’une des réclames pour la bière de Munich s’écroula. Voyant qu’il lui serait impossible de parvenir au chalet du commandant avant d’être rattrapé par la meute, le second garde se coucha à terre. Il se coucha comme un éléphant dans un cirque, s’agenouillant d’abord, puis, les hanches toujours levées, posa sa tête sur le sol, comme s’il cherchait à l’y enfouir. Le fusil décrivit un second moulinet, et la crosse fracassa le crâne du second garde.
– Oh ! mon Dieu ! chuchota le commandant, derrière la fenêtre.
La foule cernait à présent les deux morts. Les prisonniers piétinaient les gardes, de toutes leurs forces, se bousculaient, sans un cri, sans un mot, pour les piétiner à leur tour.
Le lieutenant quitta la fenêtre et, tremblant, s’appuya au mur.
– Onze mille… balbutia-t-il. Dans dix minutes, ils seront tous libérés.
Quelques coups de feu éclatèrent, vers l’entrée du camp, et trois ou quatre prisonniers s’écroulèrent. Personne ne fit atten tion à eux, mais une partie de la foule se dirigea vers le portail, avec la même rumeur atone et inarticulée.
D’autres baraquements jaillirent d’autres foules. Ils se répandaient dans l’enceinte du camp avec une rapidité de cauchemar, comme des troupeaux de taureaux dans les films sur l’Espagne. De place en place, elles se coagulaient autour d’un garde, qu’elles écrasaient sous leurs pieds.
Des cris montèrent du corridor, à l’entrée de l’administration du camp. Le lieutenant porta la main à son pistolet et, le cerveau toujours hanté par ses chers souvenirs de la défaite ordonnée de l’autre guerre, sortit pour rallier ses hommes.
Christian s’éloigna de la fenêtre, tentant de réfléchir rapidement, se maudissant mentalement pour s’être laissé fourrer dans un tel pétrin. Après tout ce qu’il avait subi, après tant de batailles, après avoir fait face à tant de chars d’assaut, tant de canons, tant de soldats entraînés, venir se fourvoyer de soi-même dans une telle impasse !…
Christian passa dans le bureau voisin. Le caporal était parti. Le prisonnier qui, tout à l’heure, lavait le plancher, était seul, près de la fenêtre. « Entre par ici », dit Christian. Le prisonnier le regarda froidement, et, lentement, pénétra dans le bureau privé. Christian referma la porte, en examinant le prisonnier. Par bonheur, il était d’une bonne taille. « Déshabille-toi ! » ordonna Christian.
Méthodiquement, sans mot dire, le prisonnier ôta sa veste de coton rayée et se disposa à enlever son pantalon. Le bruit
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