Le Bal Des Maudits - T 2
et, lorsqu’ils eurent fini de déjeuner, la jeune femme ne voyait aucun inconvénient à l’accompagner chez lui. Elle avait été un peu froide avec lui, les trois dernières fois qu’ils étaient sortis ensemble, et il ne pouvait pas courir le risque de la laisser seule à présent. En outre, sa tête était plutôt brumeuse, et il se dit qu’il devait avoir les idées claires et parfaitement nettes lorsqu’il irait interviewer Noah. Il devait bien cela à ce pauvre garçon, c’était le moins qu’il puisse faire pour lui. Aussi rentra-t-il chez lui en compagnie de la jolie fille et téléphona-t-il à son bureau pour dire au lieutenant Klauser de signer pour lui, cet après-midi, à la fermeture.
Lui et la belle fille passèrent ensemble trois heures fort agréables et, vers cinq heures, il décida qu’il avait été complètement idiot de l’avoir crue froide avec lui ; elle n’était pas froide avec lui, pas froide, pas froide du tout…
La visiteuse était très jolie, malgré tous les soucis qu’on devinait enfermés dans ses yeux sombres et directs. Lewis s’aperçut, en outre, qu’elle était enceinte. Et pauvre, s’il fallait se fier à l’aspect de ses vêtements. Lewis soupira. Ce serait pire encore qu’il l’avait imaginé.
– Vous avez été très aimable, dit Hope, de vous mettre eu rapport avec moi. Ils ne m’ont pas permis de voir Noah, pendant tout ce temps, et ils ne lui permettent pas de m’écrire, et mes lettres ne lui sont pas remises.
Sa voix était ferme et froide, et ne contenait aucune intonation plaintive.
– C’est l’armée, dit Lewis.
Il avait honte, soudain, des hommes qui l’entouraient, des uniformes, des canons, des bâtiments officiels.
– Elle fait les choses à sa manière. Vous comprenez, madame Ackerman, n’est-ce pas ?
– Je le suppose, dit Hope. Noah va bien ?
– Il n’est pas malade, répondit Lewis avec diplomatie.
– Vont-ils m’autoriser à le voir ?
– Je pense que oui, dit Lewis. C’est à ce sujet-là que je voulais vous parler.
Il regarda la wac en fronçant les sourcils. Elle les observait, de son bureau, sans chercher à dissimuler sa curiosité.
– Caporal, s’il vous plaît, dit Lewis.
– Oui, mon capitaine.
La wac se leva et quitta la pièce, à regret. Elle avait des jambes grasses, et les coutures de ses bas étaient toujours en tire-bouchon. « Pourquoi diable, pensa Lewis, automatiquement, pourquoi diable n’y a-t-il que les filles moches qui s’engagent ? » puis, il s’aperçut de ce qu’il était en train de penser et fronça nerveusement les sourcils, une seconde fois, comme si la jeune femme assise en face de lui, droite et grave sur sa chaise de bois, avait le pouvoir de lire ses pensées, et, du fond de son affreux dilemme, risquait d’en être dégoûtée.
– Je suppose, dit Lewis, que vous savez ce qui s’est passé, bien que vous n’ayez pas vu votre mari ni reçu de ses nouvelles depuis un certain temps.
– Oui, dit Hope. Un de ses amis, Michael Whitacre, qui était en Floride avec lui, est venu me voir en passant par New York et m’a mise au courant.
– Tout cela est regrettable, dit Lewis. Extrêmement regrettable.
Puis il rougit, en voyant le sourire vaguement ironique avec lequel la jeune femme avait accueilli l’expression de sa sympathie.
– Voilà la situation, se hâta-t-il d’enchaîner. Votre mari a demandé son transfert dans une autre unité… Techniquement, il peut passer en jugement devant un conseil de guerre, pour désertion…
– Mais il n’a pas déserté, dit Hope. Il s’est rendu.
– Techniquement, répéta Lewis, il a déserté, parce qu’au moment où il a abandonné son poste, il n’avait pas l’intention de revenir.
– Oh ! dit Hope. Il y a une règle pour tous les cas, n’est-ce pas ?
– J’en ai bien peur, acquiesça nerveusement Lewis.
Cette jeune femme le mettait mal à l’aise, à le regarder ainsi, fixement. Il aurait préféré qu’elle se mette à pleurer.
– L’année, continua-t-il avec une certaine raideur, conçoit qu’il ait eu des circonstances atténuantes…
– Mon Dieu ! ricana Hope, des circonstances atténuantes !
— Et, en raison de ces circonstances, insista Lewis, l’armée n’a pas l’intention de le traduire devant un conseil de guerre, mais de renvoyer simplement votre mari à son poste.
Hope sourit, un beau sourire franc et grave. « Quelle jolie
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