Le Bal Des Maudits - T 2

fille, songea Lewis, beaucoup plus jolie que l’une ou l’autre des deux mannequins… »
    –  Alors, dit Hope, la question est résolue. Noah veut rejoindre son poste et l’armée veut l’y renvoyer…
    –  Ce n’est pas tout à fait aussi simple. Le général de la base d’où votre mari a déserté exige qu’il soit versé dans la compagnie où il a servi jusqu’alors, et les autorités d’ici n’ont pas l’intention d’intervenir.
    –  Oh! dit Hope.
    –  Et votre mari refuse de rejoindre sa compagnie. Il dit qu’il préfère passer en jugement que d’y retourner.
    –  S’il y retourne, ils le tueront, dit Hope d’une voix morne. Est-ce cela qu’ils veulent.
    –  Allons, allons, dit Lewis.
    Il était en uniforme et, puisqu’il portait deux galons brillants de capitaine, il fallait bien qu’il intercède de temps à autre en faveur de l’armée.
    –  Allons, nous n’en sommes tout de même pas là.
    –  Non ? demanda amèrement Hope. Alors, où en sommes-nous, d’après vous, capitaine ?
    –  Je suis navré, madame Ackerman, dit humblement Lewis. Je sais ce que vous devez ressentir. Et, croyez-moi, j’essaie de vous aider…
    –  Je sais, dit Hope.
    Impulsivement, elle plaça sa main sur le bras du capitaine.
    –  Excusez-moi.
    –  S’il passe en jugement, il est sûr d’être envoyé en prison, reprit Lewis. Pour un bon bout de temps…
    Il ne lui dit pas qu’il avait écrit, à ce sujet, une lettre mordante au bureau de l’Inspecteur général, qu’il l’avait posée sur son bureau pour la revoir, le lendemain matin, afin de la parfaire, et qu’il s’était aperçu, en la relisant, qu’il prenait un peu trop nettement position et que l’armée avait sa manière à elle d’envoyer les officiers comme lui, qui croyaient devoir se plaindre des décisions prises par leurs supérieurs, dans des endroits désagréables, tels que l’Islande, Assam ou la Nouvelle-Guinée. Il ne dit pas à Hope qu’il avait mis la lettre dans sa poche, qu’il l’avait relue trois fois, au cours de la journée, qu’il l’avait déchirée vers cinq heures de l’après-midi et s’était saoulé, ce soir-là.
    –  Vingt ans, madame Ackerman, dit-il aussi gentiment que possible, vingt-cinq ans, peut-être. Les conseils de guerre inclinent à la dureté…
    –  Je sais pourquoi vous m’avez fait venir, dit soudain Hope, d’une voix blanche. Vous voulez que je persuade Noah de rejoindre son ancienne compagnie.
    Lewis avala péniblement sa salive.
    –  En quelque sorte… oui, madame Ackerman.
    Hope regarda par la fenêtre. Trois prisonniers en treillis bleus chargeaient des ordures dans un camion. Fusil sous le bras, deux gardes les surveillaient.
    –  Êtes-vous également psychiatre dans la vie civile, capitaine ? demanda-t-elle brusquement.
    –  Mais… je… oui, bégaya le capitaine, surpris par cette demande inopinée.
    Hope émit un rire sec et sans joie.
    –  Et vous n’avez pas honte de vous-même, aujourd’hui ? s’informa-t-elle.
    –  Je vous en prie, dit sèchement Lewis. J’ai un travail à faire et je le fais du mieux que je peux.
    Hope se leva. Elle se leva lourdement, embarrassée par l’enfant qu’elle portait en elle. Sa robe était trop étroite, à présent, et pendait sur le devant, en plis grotesques. Lewis eut une vision soudaine de la femme du soldat Ackerman, seule chez elle, et tentant désespérément d’arranger ses vêtements de ville, faute d’argent pour acheter une robe de grossesse.
    –  D’accord, dit-elle. J’essaierai.
    –  Très bien, dit Lewis, rayonnant.
    « Après tout, pensa-t-il, ce serait la meilleure solution, pour tout le monde, et ce garçon aurait certainement moins à souffrir qu’il l’imaginait. » Il le croyait presque, lorsqu’il décrocha le téléphone pour appeler le capitaine Mason, au bureau du Provost Marshal, et lui dire de prévenir Ackerman qu’il allait avoir une visite.
    Il demanda le poste de Mason et attendit, l’oreille collée au récepteur.
    –  À propos, dit-il à Hope, votre mari est-il au courant, pour… au sujet de… l’enfant ?
    Délicatement, il évitait de regarder la jeune femme.
    –  Non, dit Hope. Il ne s’en doute même pas.
    –  Vous pourriez peut-être… profiter de… utiliser cela comme un argument, au cas où… il ne voudrait pas changer d’avis. Pour l’enfant, n’est-ce pas… un père en prison… l’indignité, aux yeux de…
    –  Ce