Le Bal Des Maudits - T 2
Allemands pour prouver que tout espoir n’est pas perdu pour l’Allemagne.
De nouveau, il leva les yeux vers Christian. « Il m’immobilise, pensa Christian, furieux, il m’immobilise progressivement, sous le poids de ses confidences. » Et pourtant il ne pouvait se résoudre à faire taire le sergent Behr.
– Ne croyez pas, continua Behr, que j’invente tout cela moi-même, que je sois seul à penser et à agir. Dans toute l’armée, dans toute l’Allemagne, le plan prend forme, lentement ; des hommes sont recrutés, lentement… Je ne dis pas que nous réussirons. Je dis simplement que, d’un côté, il y a la mort certaine, la ruine certaine à brève échéance. De l’autre… – Il haussa les épaules. – Un peu d’espoir… Aussi n’y a-t-il qu’une seule sorte de gouvernement qui puisse nous sauver, et, si nous agissons nous-mêmes, nous pouvons réaliser un tel gouvernement. Si nous attendons que l’ennemi le fasse pour nous, nous aurons une demi-douzaine de petits gouvernements, tous dépourvus de la moindre signification, tous inutiles, tous nuls et non avenus. Alors 1920 semblera un véritable paradis, comparé à 1950. Tandis que, si nous le faisons nous-mêmes, nous pouvons constituer un gouvernement communiste, et nous trouver, du jour au lendemain, au centre d’une Europe communiste, avec toutes les autres nations de l’Europe occupées à nous nourrir, à nous rendre notre force. Aucune autre forme de gouvernement n’est viable pour nous, quoi que puissent dire les Anglais et les Américains, parce qu’empêcher les Allemands de s’entre-tuer sous ce que les Américains appellent démocratie – par exemple – serait aussi ridicule que tenter d’empêcher les loups de pénétrer dans la bergerie en leur faisant jurer sur l’honneur qu’ils ne le feront plus. On n’empêche pas un immeuble croulant de s’effondrer en en repeignant la façade. Il faut l’étayer, et renforcer ses murs, et raffermir ses fondations. Les Américains sont naïfs et ils ont tant de graisse sur les os qu’ils peuvent se permettre le luxe et le gâchis de la démocratie, et il ne leur est jamais venu à l’idée que leur système dépendait de la graisse qu’ils avaient sous la peau, et non des jolis mots dont il emplissaient leurs codes…
« De quelles paroles celles-ci sont-elles l’écho ? pensa vaguement Christian. J’ai déjà entendu cela quelque part, mais où ? » Puis il se rappela le matin de Noël, sur la pente de ski, avec Margaret Freemantle, plusieurs siècles auparavant, et sa propre voix disant ces mots, mais pour des raisons différentes. « Comme c’était fatigant et absurde, pensa-t-il, de brasser toujours les mêmes arguments, pour en tirer chaque fois la conclusion différente que l’on attend d’eux. »
– Nous pouvons commencer ici, disait Behr. Nous avons des rapports avec un grand nombre de Français. Un grand nombre de Français qui, actuellement, sont prêts à nous tuer, mais qui, du jour au lendemain, deviendraient nos alliés les plus précieux. De même en Pologne, en Russie, en Norvège, en Hollande, partout. Du jour au lendemain, nous présenterions aux Américains une Europe unie, avec l’Allemagne au centre, et il faudrait bien qu’ils l’acceptent, que cela leur plaise ou non. Autrement… Il haussa les épaules. Autrement, prie Dieu d’être tué le plus tôt possible… Mais il y a des choses importantes qui doivent être faites, dès maintenant. Puis-je dire à mes camarades qu’ils peuvent te considérer désormais comme l’un des nôtres ?
Behr s’assit sur le sable et commença à remettre ses chaussettes. Il les enfila méthodiquement, les lissant sur sa jambe et les débarrassant, avec des gestes lents et précis, du sable qu’elles contenaient.
Christian regarda la mer. Il se sentait las et perplexe, écrasé par une lourde colère à l’égard de son ami. « Quel choix doit-on faire, de nos jours ! » pensa Christian. Entre une mort et une autre mort, entre la corde et le fusil, entre le poignard et le poison. « Si seulement j’étais frais et dispos, pensa-t-il, si seulement, je venais de prendre un long repos paisible et reconstituant ; si seulement je n’avais jamais été malade, jamais été blessé. Peut-être pourrais-je, alors, raisonner calmement, donner la réponse correcte, allonger la main vers l’arme la plus appropriée… »
– Remets tes bottes, dit Behr. Il faut que nous rentrions. Tu
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