Le Bal Des Maudits - T 2
puisse trouver un appartement. C’est un personnage important, n’est-ce pas, chérie ?
La femme ne répondit pas. Elle commença à ôter les gants noirs qui recouvraient ses fortes mains carrées.
– Excuse-moi, dit-elle. Il faut que je prenne un bain. Il y a de l’eau chaude ?
– Tiède, dit Gretchen.
– Ça ira.
La lourde silhouette disparut dans la salle de bains.
– Elle est très intellectuelle, dit Gretchen sans regarder Christian. Tu serais étonné de son importance au ministère.
Christian ramassa son calot.
– Il faut que je parte, dit-il. Merci pour la photographie. Au revoir.
– Au revoir, répondit Gretchen, en tirant fébrilement sur le col de son peignoir. Tu n’as qu’à claquer la porte derrière toi. La serrure est automatique.
25
JE vois l’Allemagne dans un an d’ici, dit Behr.
Ils marchaient lentement vers leurs bottes, sur la plage. Leurs pieds nus s’enfonçaient dans le sable frais. Les vagues faisaient un murmure printanier dans l’air calme. Behr s’arrêta pour allumer une cigarette. Ses mains puissantes de travailleur manuel paraissaient énormes, autour du frêle rouleau de tabac.
– Je vois l’Allemagne dans un an d’ici, répéta-t-il. Des ruines. Des ruines partout ! Des gosses de douze ans se servant de grenades à main pour voler un kilo de farine. Pas de jeunes gens dans les rues, excepté ceux qui marcheront avec des béquilles, parce que tout le reste sera dans des camps de concentration en Russie, en France et en Angleterre. Des vieilles femmes vêtues de sacs de pommes de terre tombant raides mortes de faim, sur les trottoirs. Pas d’usines en marche, parce qu’elles auront été toutes détruites. Pas de gouvernement, rien que des lois militaires édictées par les Russes et les Américains. Pas d’écoles, pas de maisons, pas d’avenir…
Behr se tut et regarda la mer. Le soleil était un globe allongé qui s’enfonçait paisiblement dans l’eau, au large des côtes de Normandie. L’herbe ondulait sur les collines ; la route qui longeait la plage était calme et vide, et les fermes des environs paraissaient avoir été abandonnées depuis longtemps.
– Pas d’avenir, répéta Behr, en regardant l’océan, par-dessus les chevaux de frise. Pas d’avenir. Pas d’avenir.
Behr était sergent dans la nouvelle compagnie de Christian. C’était un homme de trente ans, bâti en force, dont la femme et les deux enfants avaient été tués à Berlin, en janvier, par la R. A. F. Il avait été blessé sur le front russe, au cours de l’automne – bien qu’il refusât toujours d’en parler, – et avait été envoyé en France quelques semaines avant que Christian y soit lui-même affecté, au retour de sa permission de maladie.
Christian ne connaissait Behr que depuis un mois, mais il avait beaucoup d’amitié pour lui. Behr, de son côté, semblait également apprécier la compagnie de Christian, et ils passaient ensemble tous leurs loisirs, faisant de longues promenades à travers la campagne bourgeonnante, buvant le calvados local et le cidre de pays dans les cafés du village où était cantonné leur bataillon. Ils ne sortaient jamais sans un pistolet à leur ceinture, parce que leurs officiers supérieurs les mettaient constamment en garde contre les activités imprévisibles des bandes de maquisards français. Mais il n’y avait jamais eu aucun incident dans les environs, et les deux amis avaient fini par conclure que ces avertissements répétés n’étaient que de vulgaires symptômes de la nervosité croissante qui régnait dans les hautes sphères. Ils se promenaient donc, chaque jour, parmi les terres labourées et le long des plages normandes. Ils étaient polis avec les Français qu’ils croisaient et qui semblaient tous amicaux, à leur manière grave et réservée de gens de la campagne.
Ce qui plaisait le plus à Christian, dans la personnalité de Behr, c’étaient, en n’importe quelles circonstances, ses réactions normales d’homme sain. Tous ceux auxquels Christian avait eu affaire, depuis les nuits infernales passées devant Alexandrie, lui avaient paru surmenés, nerveux, amers, hystériques et hypertendus… Behr, à l’instar du paysage, était calme, ordonné, bien portant, parfaitement maître de lui-même et, à son contact, Christian avait rapidement recouvré la santé.
Lorsqu’il avait été envoyé en Normandie, Christian, selon l’expression consacrée,
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