Le Bal Des Maudits - T 2
n’as pas besoin de me donner ta réponse maintenant. N’oublie pas, simplement, d’y réfléchir.
« Réfléchir, pensa amèrement Christian. Autant dire à un malade de réfléchir au cancer qui lui ronge le ventre, à un condamné à mort de réfléchir à son exécution, à une cible de réfléchir à une balle qui va la frapper. »
– Écoute, dit Behr en contemplant le sable, sa seconde botte à la main, si tu parles de tout ceci à qui que ce soit, tu seras re trouvé un matin avec un couteau entre les deux épaules. Quoi qu’il puisse m’arriver à moi-même. J’ai beaucoup d’amitié pour toi, sincèrement, mais il fallait que je me protège, et j’ai dit à mes camarades que j’allais te parler aujourd’hui…
Christian regarda ce visage paisible, innocent et sain, comme le visage de l’électricien qui venait, avant la guerre, réparer la radio, ou le visage de l’agent qui aide deux petits enfants à traverser une rue, sur le chemin de l’école.
– Je t’ai dit que tu n’avais pas à t’inquiéter, grogna Christian. Et je n’ai pas besoin de réfléchir. Je peux te dire tout de suite que…
Puis il entendit le bruit et, automatiquement, se jeta à plat ventre. Les balles s’enfoncèrent avec une sorte de martèlement ouaté dans le sable autour de sa tête, et il ressentit le choc bizarre et indolore de l’acier déchirant son bras. Il leva les yeux. À vingt mètres au-dessus de lui, à l’issue de son long vol plané, un Spitfire ronflait de nouveau dans le ciel. Il voyait clairement les trois couleurs de ses cocardes et l’éclat argenté des pièces métalliques de son gouvernail. L’avion reprit instantanément de la hauteur, au-dessus de la mer, et, en un moment, ne fut plus qu’une silhouette gracieuse, pas plus grande qu’une mouette, et qui grimpait vers le soleil, grimpait dans le ciel vert et pourpre de cette surprenante journée printanière, à la rencontre d’un second avion qui tournait sur la Manche, en larges cercles concentriques.
Puis Christian regarda Behr. Toujours assis par terre, il contemplait ses mains croisées sur son ventre. Du sang suintait lentement entre ses doigts. Une seconde, Behr éloigna ses mains. Le sang jaillit, en jets inégaux. Comme s’il était satisfait du résultat de son expérience, Behr remit ses mains sur son ventre.
Il regarda Christian, et, plus tard, lorsqu’il se rappela ce moment, Christian eut la conviction que Behr lui avait souri gentiment.
– Ça va être très douloureux, dit Behr sans s’émouvoir. Peux-tu m’emmener chez un médecin ?
– Ils sont descendus en vol plané, dit stupidement Christian, en regardant, au loin, disparaître les deux points scintillants. Ces salauds-là avaient encore quelques bandes de cartouches, et ils n’ont pas voulu rentrer sans les avoir utilisées…
Behr tenta de se lever. Il se dressa sur un genou, puis glissa et retomba sur le sable, sans se départir de son expression pensive et lointaine.
– Je ne peux pas bouger, constata-t-il. Peux-tu me porter ?
Christian s’approcha de lui et essaya de le soulever. Il découvrit, alors, que son bras droit ne lui obéissait pas. Il le regarda, surpris, se souvenant, tout à coup, que, lui aussi, avait été touché. Sa manche était trempée de sang, son bras était paralysé, et la blessure semblait déjà adhérer au tissu de sa vareuse. Mais il tenta, néanmoins, de soulever Behr avec son bras valide. Il réussit à le redresser à demi, et s’arrêta, haletant, tenant Behr sous une aisselle, Behr, à présent émettait un curieux bruit mécanique, une sorte de bouillonnement doublé d’un cliquetis intermittent.
– Je ne peux pas, dit Christian.
– Pose-moi par terre, dit Behr. Pour l’amour de Dieu, pose-moi par terre !
Aussi doucement que possible, Christian laissa glisser le blessé sur le sable. Behr resta immobile, les jambes étendues, les mains à nouveau réunies sur son ventre, cliquetant et bouillonnant.
– Je vais aller chercher du secours, dit Christian. Quelqu’un pour te transporter.
Behr essaya de parler, mais n’y arriva pas et se contenta de hocher la tête. Il avait l’air toujours aussi calme, aussi détendu, aussi bien portant, avec ses cheveux blonds coupés en brosse au-dessus de son visage hâlé. Christian s’assit et tenta d’enfiler ses bottes, mais, avec sa seule main gauche, n’y parvint pas. Fi nalement, il y renonça, tapota l’épaule de Behi, d’un
Weitere Kostenlose Bücher