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Le Bal Des Maudits - T 2

Le Bal Des Maudits - T 2

Titel: Le Bal Des Maudits - T 2 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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geste faussement rassurant et, pieds nus, se mit à trotter lourdement vers la route.
    Il en était encore à une cinquantaine de mètres lorsqu’il vit, sur la route, deux Français à bicyclette. Ils pédalaient régulièrement, infatigablement, projetant des ombres fantastiques sur les champs marécageux.
    Christian s’arrêta, leva son bras valide et cria, en Français :
    –  Mes amis ! camarades ! arrêtez !
    Les deux cyclistes ralentirent et Christian vit distinctement les deux hommes se tourner vers lui.
    –  Blessé ! blessé ! cria Christian, en désignant Behr, désormais affalé sur le sable, à quelque distance de l’eau miroitante.
    –  Aidez-moi ! Aidez-moi !
    Les cyclistes parurent sur le point de s’arrêter, et Christian les vit se consulter du regard. Puis ils se penchèrent sur leurs guidons et reprirent rapidement de la vitesse. Ils passèrent très près de Christian, à vingt-cinq ou trente mètres de lui, et Christian distingua nettement leurs visages bruns, usés, inexpressifs et froids, sous leurs casquettes bleu foncé. Bientôt ils tournèrent derrière une colline qui cachait la route sur près de deux kilomètres, et disparurent. Il ne restait plus, devant les yeux de Christian, que la route, vide et plate dans le crépuscule bleu. Seule, dans tout ce bleu, la ligne de l’océan était encore d’un rouge agressif.
    Christian leva le bras, comme pour faire signe aux deux hommes, comme s’il lui était impossible de croire qu’ils n’étaient plus là, comme si leur soudaine absence n’était qu’une hallucination causée par sa blessure. Il secoua la tête et recommença à trotter vers le groupe de maisons qu’il apercevait au loin, en lisière de la route.
    Il dut s’arrêter au bout d’une minute. Il avait peine à reprendre son souffle, et son bras s’était remis à saigner. Puis il entendit un cri. Il pivota et, à travers l’obscurité croissante, chercha l’endroit où il avait laissé Behr. Un homme était accroupi, près de Behr, et Behr essayait de lui échapper, en rampant sur le sable, avec des gestes d’agonisant. Puis Behr hurla de nouveau, et l’homme allongea le bras, le saisit par le col de sa veste et le retourna vers lui. Dans la main de l’homme, Christian vit luire un couteau, tranche de lumière acérée contre le fond brillant de la mer. Behr poussa un nouveau cri et ne le finit jamais.
    Christian prit son revolver dans son étui, avec sa main gauche, mais il lui fallut un certain temps pour le sortir. Il vit l’homme ranger son couteau, s’emparer du pistolet de Behr, le glisser dans sa poche et ramasser les bottes de Christian qui gisaient à proximité. Laborieusement, Christian débloqua le cran de sûreté de son arme et se mit à tirer. Il n’avait jamais tiré au pistolet de la main gauche, et ses balles se perdirent. Mais le Français, alerté, prit sa course vers la colline. Christian fonça en trébuchant vers la forme prostrée de Behr, s’arrêtant de loin en loin pour tirer sur le fuyard.
    Lorsque Christian atteignit l’endroit où était étendu son ami, le Français que Christian avait pourchassé était de nouveau sur sa bicyclette et, avec le second cycliste, s’éloignait à toute allure. Christian tira une dernière balle, dans leur direction. Elle dut les frôler, car il vit la paire de bottes tomber du guidon de la seconde bicyclette, comme si l’homme avait été effrayé par le sifflement de la balle. Les Français ne s’arrêtèrent pas. Ils se courbèrent encore plus bas au-dessus de leurs guidons et disparurent bientôt dans la brume qui commençait à obscurcir la route, le sable pâle de la plage, les rangées de fil de fer barbelé, les petits écriteaux avec les crânes et les tibias, qui disaient : « Attention, mines. »
    Christian baissa les yeux vers son ami.
    Behr gisait sur le dos, les bras en croix, le visage déformé par la terreur, le cou englué de sang noir, à l’endroit où le couteau du Français avait pratiqué une large brèche inutile. Christian regarda Behr, pensant : « Ce n’est pas possible, il y a cinq mi nutes, il était assis là, près de moi, en train d’enfiler ses bottes et d’exposer l’avenir de l’l’Allemagne avec la compétence d’un professeur de science politique… Le chasseur anglais descendant en vol plané, le fermier français sortant de sa poche le couteau caché avaient leurs propres conceptions de la science politique. »
    Christian

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