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Le Bal Des Maudits - T 2

Le Bal Des Maudits - T 2

Titel: Le Bal Des Maudits - T 2 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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tout ! Au revoir. Un cigare ?
    –  Non, mon lieutenant, dit Christian.
    –  D’autres officiers, dit le lieutenant, ne s’assiéraient pas ainsi à l’arrière d’une voiture avec un sergent, ni ne lui offriraient un cigare. Mais pas moi. Je n’oublie pas que j’ai travaillé dans une usine de maroquinerie. C’est l ’un des défauts de l’Armée allemande. Ils oublient tous qu’ils ont été et qu’ils redeviendront civils. Ils se prennent tous pour des Césars ou des Bismarcks. Mais pas moi. J’aime les affaires simples. Oui ou non. Un point, c’est tout.
    Lorsque la grosse voiture s’arrêta devant la mairie, dans le sous-sol de laquelle le suspect était enfermé, Christian s’était dit, depuis longtemps, que le lieutenant de S. S. – qui s’appelait Reichburger – était un parfait idiot et qu’il ne lui confierait même pas le soin de retrouver un stylo dérobé.
    Le lieutenant sauta de la voiture, et, arborant toujours son sourire mécanique de commis voyageur, entra gaiement dans la laide bâtisse de pierre. Christian le suivit jusqu’à une salle vide, dont le seul ornement, en dehors d’un employé et de trois chaises de café, consistait en une caricature de Winston Churchill, nu, qui, fixée à l’aide de punaises sur une planchette de bois, servait de cible pour leurs parties de fléchettes au détachement local des S. S.
    –  Asseyez-vous, asseyez-vous, dit le lieutenant en désignant une chaise. Installez-vous confortablement. Vous ne devez pas oublier que vous venez d’être blessé.
    –  Oui, mon lieutenant.
    Christian s’assit. Il regrettait d’avoir dit au lieutenant qu’il pourrait reconnaître les deux Français. Il détestait le lieutenant et aurait désiré être ailleurs.
    –  Avez-vous déjà été blessé ?
    Le lieutenant lui adressait un sourire affectueux.
    –  Oui, dit Christian. Une fois. Deux fois, en réalité. Une fois gravement, en Afrique. Et une égratignure à la tête, en 1940, sur la route de Paris.
    –  Blessé trois fois.
    Un instant, le sourire du lieutenant disparut.
    –  Vous êtes un homme chanceux. Vous ne serez jamais tué. Il y a, évidemment, quelque chose qui vous protège. Je sais que je n’en ai pas l’air, mais je suis fataliste. Il y a des hommes qui sont nés pour être blessés, d’autres pour être tués. Je n’ai encore jamais été touché moi-même. Mais je sais que je serai tué avant la fin de la guerre.
    Il haussa les épaules et sourit.
    –  Alors, je jouis de mon reste. Je vis avec une femme qui est une des meilleures cuisinières de France et qui, accessoirement, possède aussi deux sœurs cadettes.
    Il cligna de l’œil s’esclaffa.
    –  La balle frappera un homme comblé, dit-il.
    La porte s’ouvrit. Un S. S. poussa à l’intérieur de la salle un homme aux mains entravées. L’homme était grand. Il avait le teint recuit et faisait ce qu’il pouvait pour montrer qu’il n’avait pas peur. Il se tant immobile, près de la porte, et, par un effort évident les muscles de son visage, il parvint à amener sur ses lèvres un rictus de dédain.
    Le lieutenant lui jeta un regard affectueux.
    –  Et bien ! dit-il en un français laborieux. Nous n’allons pas gâcher votre temps, monsieur.
    Puis, se tournant vers Christian :
    –  Est-ce l’un des deux hommes, sergent ?
    Christian examina le Français. Le Français respira profondément et regarda Christian, avec un pénible mélange de perplexité et de haine contenue.
    Une sorte de colère sourde s’empara de l’esprit de Christian. Sur cette physionomie, dénudée par le courage et la stupidité, se lisait à livre ouvert toute l’histoire de la ruse, et de la malice, et de l’obstination des Français ; le silence moqueur, dans les trains, lorsqu’ils voyageaient dans les mêmes compartiments que vous ; les rires de dérision, à peine étouffés, lorsque vous sortiez d’un café où deux ou trois d’entre eux buvaient à une table isolée, l’arrogant 1918 griffonné sur le mur de l’église, le soir même de leur entrée à Paris… L’homme grogna, et, dans sa grimace même, il y avait trace du rire sec réprimé, qui écartait les commissures de ses lèvres. Quel soulagement, pensa Christian, si l’on pouvait lui enfoncer ses longues dents jaunes au fond de la gorge, à coups de crosse de fusil. Il pensa à Behr, si raisonneur, si raisonnable, qui avait espéré travailler avec ces gens-là. À présent, Behr était

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