Le Bal Des Maudits - T 2
l’obscurité.
Docilement, les trois hommes obéirent.
Puis, en file indienne, ils marchèrent dans la direction vers laquelle les entraînait Noah.
Ce fut à l’aube qu’ils rencontrèrent les prisonniers. Il faisait assez jour, maintenant, pour qu’il ne leur soit plus nécessaire de se tenir par la ceinture, et ils étaient allongés derrière une haie, prêts à traverser une étroite route goudronnée, lorsqu’ils entendirent le raclement de pieds caractéristique d’une troupe en marche.
Un moment plus tard apparut une colonne d’une soixantaine d’Américains. Ils marchaient lentement, en traînant les pieds, encadrés par six Allemands armés de mitraillettes. Ils passèrent à trois mètres de Noah, qui étudia attentivement leurs visages. Ils portaient un mélange de honte et de soulagement, ainsi qu’une sorte de lassitude anesthésiante, mi-involontaire, mi-délibérée. Les prisonniers ne regardaient pas leurs gardiens, ni ne se regardaient entre eux, ni ne regardaient le paysage. Ils marchaient lentement, dans une sorte de transe. Ils marchaient plus légèrement que les autres soldats, parce qu’ils n’avaient plus ni fusils, ni paquetages, ni équipement. Et, tout en les observant, Noah sentit l’étrangeté de voir soixante Américains marcher ainsi sur une route, dans une sorte de formation, les mains dans les poches, sans armes et sans bagages.
Ils passèrent et disparurent. Le bruit décroissant de leur avance mourut bientôt parmi les haies ruisselantes de rosée.
Noah se retourna vers ses compagnons. Ils regardaient toujours, immobiles, l’extrémité de la route où venaient de disparaître les prisonniers. Les visages de Cowley et de Burnecker n’exprimaient rien, qu’une fascination objective et intéressée. Mais Riker avait l’air bizarre. Noah le regarda fixement et comprit, soudain, que ce qu’il voyait sur le visage de Riker, dans ses yeux gonflés et rouges, sous sa barbe hirsute et boueuse, n’était autre que ce mélange de honte et de soulagement qu’il avait découvert sur tous les visages des prisonniers.
– Je vais vous dire une bonne chose, annonça Riker d’une voix rauque, méconnaissable, sans regarder Noah ni les autres. On s’y prend comme des imbéciles. On n’a pas une chance de s’en tirer, de cette façon, tous les quatre ensemble. La seule façon de s’en tirer est de se disperser. Un par un.
Il s’arrêta. Personne ne répondit.
Riker regarda le bout de la route.
– C’est une simple question de jugeote, reprit-il. Quatre types ensemble font une trop bonne cible. Un type tout seul peut facilement se cacher. Je ne sais pas ce que vous avez l’intention de faire, mais je vais continuer tout seul.
Il attendit que ses compagnons prennent la parole, mais personne ne répondit. Ils étaient allongés dans l’herbe humide, visages inexpressifs.
– Il ne faut jamais rien remettre à plus tard, dit Riker d’une voix cassée.
Il se redressa, hésita un instant, traversa la haie. Il s’arrêta, plié en deux, sur le bord de la route. Il était énorme et pareil à un ours, avec ses gros bras pendants, ses mains puissantes et noires oscillant au niveau de ses genoux. Puis il s’éloigna sur la route, dans la direction prise par la colonne.
Noah et les autres le regardèrent. Graduellement, Riker se redressa. Sa silhouette, pensa Noah, avait quelque chose d’insolite, et il essaya d’en comprendre la raison. Puis, alors que Riker était déjà à une quarantaine de mètres et qu’il accélérait insensiblement l’allure, Noah réalisa ce qui lui avait donné cette impression. Riker n’était pas armé ! Noah baissa les yeux vers l’endroit où s’était allongé Riker. Le Garand gisait dans l’herbe, canon bourré de terre humide.
Noah releva les yeux. Riker courait presque, maintenant, le casque solidement enfoncé sur la tête, ses épaules énormes rythmiquement agitées par la vitesse de sa marche. Lorsqu’il atteignit le premier tournant ses mains montèrent lentement au niveau de ses épaules. Puis elles s’immobilisèrent définitivement, au-dessus de sa tête, Riker disparut au tournant, et Noah ne le revit plus.
– Un fantassin de moins, constata calmement Burnecker.
Machinalement, il ôta le chargeur du Garand, éjecta la cartouche déjà introduite dans le magasin, la ramassa et, avec le chargeur, la fourra dans sa poche.
Noah se leva. Burnecker l’imita. Cowley hésita, soupira et se leva à son
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