Le Bal Des Maudits - T 2
silencieusement. Les autres faisaient un bruit énorme, mais il lui était impossible de leur faire signe d’user de plus de discrétion. Un par un, ils se glissèrent auprès de lui. Ainsi groupés, dans l’herbe humide du fossé, le sifflement de leurs respirations conjuguées paraissait signaler leur présence à cinquante mètres à la ronde. Ils ne bougeaient plus. Ils étaient accroupis dans le fossé, tassés les uns contre les autres, et Noah comprit, soudain, qu’ils attendaient tous qu’un autre prenne l’initiative.
« Ils veulent que ce soit moi, pensa Noah avec ressentiment. Pourquoi veulent-ils que ce soit moi ? »
Mais il se maîtrisa, et, à travers la haie, regarda dans la direction des éclairs d’artillerie. Dans le champ, de l’autre côté, il dis tinguait des silhouettes mouvantes. Hommes ou bétail ? Il était impossible de le dire. De toutes manières, ils n’auraient pas pu traverser la haie sans faire un bruit considérable. Noah toucha la jambe de l’homme qui le suivait pour lui indiquer qu’il allait reprendre sa route et avança dans le fossé, le long de la haie. Derrière lui, les autres s’ébranlèrent.
Noah progressait lentement, baigné de sueur, s’arrêtant tous les cinq mètres pour écouter. La haie était opaque et murmurait au contact de la brise. De temps à autre, un petit animal effrayé filait à travers les feuilles, un oiseau dérangé dans son sommeil battait des ailes au-dessus de leurs têtes. Mais les Allemands ne donnaient toujours aucun signe d’existence.
« On y arrivera peut-être, pensa Noah, en rampant dans l’humus puant qui tapissait le fond du fossé, on y arrivera peut-être. Peut-être qu’on s’en tirera. »
Puis il allongea la main et toucha quelque chose de dur. Il demeura immobile et rigide, déplaçant lentement sa main droite, en un geste d’exploration. « Un objet rond, pensa-t-il, rond et métallique… un casque. » Sa main se posa sur quelque chose d’humide et de gluant, et Noah réalisa qu’il y avait un cadavre dans le fossé, devant eux, et que l’homme avait été ! touché au visage.
Il recula un peu et tourna la tête.
– Burnecker, chuchota-t-il.
– Quoi ?
La voix de Burnecker semblait venir de loin et sortir d’une gorge en cours de strangulation.
– Y a un macchabée, juste devant moi, chuchota Noah.
– Quoi ? Je ne t’entends pas.
– Un macchabée… Un mort, souffla Noah.
– Qui est-ce ?
– Comment diable veux-tu que je le sache ? chuchota Noah.
Il en voulait à Burnecker de se montrer aussi stupide. Puis il faillit éclater de rire, tant la situation lui parut soudainement idiote.
– Passe le mot, chuchota-t-il.
– Quoi ?
Noah se mit à haïr Burnecker. Amèrement. Profondément.
– Passe le mot, dit-il un peu plus fort. Pour les empêcher de faire les imbéciles.
– O. K O. K dit Burnecker.
Noah entendit, derrière lui, se succéder les chuchotements.
– O. K., dit enfin Burnecker. Ils ont tous pigé.
Lentement, Noah rampa sur le cadavre. Ses mains se posèrent sur les bottes de l’homme, et Noah comprit, soudain, que le cadavre était celui d’un Allemand, car les Américains ne portaient pas de bottes. Il faillit s’arrêter pour communiquer aux autres ce qu’il avait découvert. Il était heureux de savoir qu’il ne s’agissait ! pas d’un des leurs. Puis il se souvint que les parachutistes portaient des bottes, eux aussi, et que ce pouvait être un parachutiste. Il réfléchit en rampant toujours, et cet effort de concentration mentale l’empêcha de sentir sa frayeur et sa fatigue. « Non, conclut-il enfin, les parachutistes américains portent des bottes à lacets, et celles-ci n’étaient pas lacées. » C’était donc bien un Allemand. Un Allemand mort gisant au fond d’un fossé. Il aurait dû le comprendre, d’après la forme de son casque. Mais les casques allemands et américains n’étaient pas tellement différents, surtout au toucher, et il n’avait encore jamais eu l’occasion de toucher un casque allemand.
Il atteignit l’extrémité du champ. Le fossé et la haie tournaient à angle droit, en lisière du champ. Prudemment, Noah tendit la main. Il y avait une petite brèche, dans la haie, et, de l’autre côté, une route étroite. Il faudrait qu’ils traversent la route, tôt ou tard. Autant le faire maintenant.
Noah se retourna vers Burnecker.
– Écoute, chuchota-t-il, je vais franchir la
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