Le Bal Des Maudits - T 2
tour.
Noah franchit la haie et traversa la route. Burnecker et Cowley le suivirent.
L’artillerie grondait sans arrêt, au loin, vers la côte. À défaut d’autre chose, pensa Noah, elle leur apportait toujours la certitude que l’armée n’avait pas été rejetée de France.
La grange et la maison paraissaient abandonnées. Les pattes en l’air, deux vaches mortes commençaient à gonfler hideusement, dans la cour, mais la maison semblait déserte et infiniment tentante.
Ils étaient complètement épuisés, et, rampants, courbés, accroupis, se mouvaient dans une morne somnolence. S’il leur fal lait encore courir, Noah était certain que lui, au moins, n’y parviendrait pas. Plusieurs fois, ils avaient aperçu des Allemands, et Noah était sûr que deux Allemands à motocyclette les avaient repérés au moment où ils se jetaient à terre, derrière une haie. Mais les Allemands s’étaient contentés de ralentir un peu, avaient regardé dans leur direction et calmement poursuivi leur route. Il était difficile de dire si c’était de la peur ou bien une arrogante indifférence qui les avaient empêchés de les attaquer.
Cowley haletait, très fort, chaque fois qu’il se mouvait. Il était tombé, à deux reprises, en escaladant des palissades et avait voulu jeter son fusil. Noah et Burnecker avaient dû discuter avec lui près de dix minutes pour l’en dissuader. Burnecker s’était chargé, en plus de son propre fusil, de porter celui de Cowley, et Cowley ne lui avait proposé de le reprendre qu’au bout d’une demi-heure.
Ils avaient besoin de repos. Ils n’avaient pas dormi depuis deux jours et rien mangé depuis la veille, et la grange et la maison les attiraient.
– Ôtez vos casques et laissez-les ici, dit Noah. Levez-vous, tenez-vous droit et marchez lentement.
Ils avaient, pour atteindre la grange, une cinquantaine de mètres à parcourir en terrain découvert. S’ils marchaient naturellement, et que quelqu’un les aperçoive, ils pourraient être pris pour des Allemands. À présent, Noah prenait automatiquement les décisions, donnait les ordres nécessaires, et les autres obéissaient sans lui poser de questions.
Ils se levèrent, sortirent rapidement de leur fossé, et, aussi normalement que possible, marchèrent vers la grange. Le grondement lointain de l’artillerie accentuait encore l’impression de silence et de vide qui régnait autour des deux bâtiments. La porte de la grange était ouverte. Ils laissèrent derrière eux l’odeur des deux vaches mortes et entrèrent. Noah jeta un coup d’œil autour de lui. À quelques mètres, une échelle grossière conduisait à un grenier à foin.
– Grimpons, dit Noah.
Cowley passa le premier, se hissa laborieusement. Burnecker le suivit. Noah saisit les barreaux de l’échelle et respira profondément. Il leva la tête. Douze échelons. Il secoua la tête. Douze échelons ! C’était impossible. Il commença à grimper, marquant une pause à chaque échelon. Le bois était vermoulu et riche en échardes. L’odeur de la grange était de plus en plus lourde et poussiéreuse à mesure qu’il s’approchait du sommet. Il éternua et faillit retomber. Parvenu au haut de l’échelle, il attendit un long moment d’avoir assez de force pour se jeter enfin sur le plancher du grenier. Burnecker s’agenouilla près de lui, le saisit sous les aisselles et tira ; Noah, surpris, se sentit soulevé et s’affala avec reconnaissance sur le plancher grossier, heureux et surpris de constater la solidité de la poigne de Burnecker. Au bout de quelques secondes, il s’assit, rampa jusqu’à la petite fenêtre qui s’ouvrait à l’autre extrémité du grenier. Il regarda au-dehors. De sa position élevée, il découvrait, à cinq cents mètres de là, un essaim de camions et de petites silhouettes agitées, mais tout cela était trop lointain pour être vraiment dangereux. Une ferme brûlait, à sept ou huit cents mètres, mais cela aussi paraissait normal et inoffensif. Il se détourna de la fenêtre, écarquilla les yeux. Burnecker et Cowley le regardaient d’un air interrogateur.
– Nous avons trouvé un foyer dans l’armée, dit Noah.
Il sourit bêtement, satisfait de sa facétie.
– Je ne sais pas ce que vous avez l’intention de faire, mais, moi, je vais dormir.
Il posa soigneusement son fusil et s’allongea sur le plancher. Il ferma les yeux, tandis que Burnecker et Cowley s’installaient
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