Le Bal Des Maudits - T 2
haie, à cet endroit.
– O. K., dit Burnecker.
– Il y a une route, de l’autre côté.
– O. K„
Ils entendirent un bruit de pas, sur la route, et le cliquetis métallique des équipements. Noah referma sa main sur la bouche de Burnecker. Ils écoutèrent. Trois ou quatre hommes marchaient sur la route, en échangeant de rares paroles. C’était de l’allemand. Noah tendit l’oreille, comme si, bien qu’il ne comprît pas un traître mot d’allemand, tout ce qu’il entendrait puisse lui être un jour d’une grande utilité.
Les Allemands s’éloignèrent d’un pas ferme, régulier, comme celui d’une patrouille faisant une ronde. Leurs voix décrurent dans la nuit bruissante, mais ils entendirent longtemps encore le martèlement lourd de leurs bottes.
Riker, Demuth et Cowley rejoignirent Noah, contre le flanc du fossé.
– On va traverser la route, chuchota Noah.
– De la merde !
Noah reconnut la voix de Demuth, tremblante et rauque, à peine identifiable.
– Si vous voulez continuer, allez-y. Moi, je reste ou je suis. Dans ce fossé.
– Ils te ramasseront demain matin. Dès que le jour sera levé…, insista anxieusement Noah.
Parce qu’il les avait conduits jusque-là, il se sentait illogiquement responsable de leur sort à tous.
– Tu ne peux pas rester là.
– Non ? gouailla Demuth. Sans blague ? Que ceux qui veulent recevoir une balle dans le cul continuent. Moi, je reste là.
Alors, Noah comprit que les voix confiantes et à peine étouffées des quatre Allemands marchand d’un pas égal de l’autre côté de la haie avaient donné le coup de grâce à l’énergie – fût-ce celle du désespoir – qui avait permis à Demuth de venir jusqu’ici. Pour Demuth, la guerre était finie. Advienne que pourrait, il ne combattrait plus. « Peut-être a-t-il raison, pensa Noah, peut-être est-ce la meilleure façon d’agir… »
– Noah…
C’était la voix de Burnecker, anxieuse, pleine d’attente.
– Qu’est-ce que tu vas faire ?
– Moi ? dit Noah.
Et, parce qu’il savait que Burnecker comptait sur lui :
– Je vais traverser la haie, chuchota-t-il. Demuth ne devrait pas rester ici.
Il attendit que les autres se joignent à lui pour tenter de convaincre Demuth. Personne ne dit rien.
– O. K., dit Noah.
Il franchit prudemment la haie. Les branches humides saupoudrèrent son visage de gouttes glacées. La route lui parut soudain très large. Elle était sillonnée de profondes ornières. Ses semelles de caoutchouc glissèrent sur le bord de l’une d’elles et il faillit tomber. Deux pièces métalliques de son équipement se heurtèrent avec un léger cliquetis, tandis qu’il s’efforçait de reprendre son équilibre. Il ne lui restait plus qu’à aller de l’avant. À une quinzaine de mètres plus loin, il distinguait, dans l’autre haie, l’endroit où un tank avait dû passer, fracturant les rameaux enchevêtrés, écrasant les petites feuilles vertes. Il marcha vers la brèche, penché en avant, avec une curieuse impression de nudité. Derrière lui, il entendait les pas furtifs des autres hommes. Il pensa à Demuth et se demanda quelle impression il devait éprouver à présent, seul dans son fossé, attendant la première lueur de l’aube et le premier Allemand qui aurait l’air d’avoir entendu parler de la Convention de Genève.
Loin, derrière lui, le B. A. R. lâcha de nouvelles rafales. « Rickett, pensa Noah, Rickett », qui jamais ne se rendrait, jurant et tuant toujours à la fenêtre du premier étage.
Puis une mitrailleuse ouvrit le feu. D’après le son, elle ne devait pas être à plus d’une vingtaine de mètres. Il y eut des cris, en allemand, et des fusils ouvrirent le feu. Noah entendit gémir les balles, au-dessus de sa tête, tandis qu’il courait, sans plus chercher à éviter de faire du bruit, vers la brèche pratiquée dans l’autre haie. Il s’y lança, à corps perdu. Il entendait les autres courir sur ses traces, dans la glaise, et foncer à leur tour à travers la haie. L’intensité du feu s’accroissait de seconde en seconde. À une centaine de mètres, des balles traçantes prirent leur essor, mais passèrent très haut au-dessus de leurs têtes. Le simple fait de voir les munitions gâchées se perdre dans les branches des arbres procurait à Noah une sensation paradoxale de bien-être et de sécurité.
Il se rua à travers le champ, en ligne droite, les autres
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