Le Bal Des Maudits - T 2
Il regarda les hommes charger méthodiquement leurs paniers d’osier, sous la protection des arbres, non loin d’une grande ferme, à sept ou huit cents mètres d’un clocher, à cinq cents mètres d’un groupe de quatre maisons. Au-delà du champ dans lequel se trouvait le dépôt volant de munitions, il distingua une route goudronnée, en reproduisit fidèlement la courbe sur son plan, et remit la photographie dans son portefeuille. Quelques-uns des camions et des véhicules tirés par des chevaux s’engageaient dans un chemin d’escarbilles qui croisait la route goudronnée, à six cents mètres de là. Ils disparurent derrière un bouquet d’arbres et ne réapparurent point de l’autre côté. Il doit y avoir une batterie dans ce bosquet, pensa Noah. Il se réserva d’aller le vérifier plus tard. Une nouvelle intéressante de plus pour le quartier général divisionnaire.
Il se sentait énergique et impatient d’agir. Il lui semblait intolérable de s’attarder ici, avec tous ces renseignements dans sa poche, pendant qu’à une dizaine de kilomètres, peut-être, les canons de la division bombardaient à l’aveuglette des champs inoccupés. Il quitta la fenêtre, s’approcha de Cowley et de Burnecker Il se pencha pour éveiller Burnecker, et s’arrêta. Un quart d’heure au moins s’écoulerait encore avant que l’obscurité soit assez intense pour leur permettre de vider les lieux. Autant les laisser dormir encore un peu.
Noah retourna à la fenêtre. Une lourde charrette passait sur la route, juste devant ses yeux. Un soldat conduisait l ’attelage, et les têtes des chevaux montaient et redescendaient puissamment, de part et d’autre du brancard unique. Deux autres soldats marchaient près de l ’attelage, comme des fermiers pensifs revenant des champs après une dure journée de travail. Le bras levé, l’un d’eux s’appuyait au bord de la charrette. Ni l’un ni l’autre ne levaient les yeux.
La charrette se dirigea en grinçant vers le dépôt de munitions. Noah secoua la tête et alla réveiller Cowley et Burnecker.
Ils étaient au bord d’un canal. Le canal n’était pas très large, mais il était impossible d’en évaluer la profondeur, et sa surface huileuse luisait dangereusement sous la lune. Cachés dans un buisson, ils regardaient pensivement l’eau noire. La marée était basse, le flanc de l’autre rive, humide et sombre au-dessus de la surface de l’eau. Ils n’avaient pas de montre, mais l ’aube ne devait plus être très lointaine.
Cowley avait protesté lorsque Noah les avait emmenés près de la batterie camouflée. « Nom de D…, avait-il chuchoté amèrement, tu choisis bien ton temps pour aller à la chasse aux médailles. » Mais Burnecker avait soutenu Noah, et Cowley les avait suivis.
Et maintenant, allongé une fois de plus dans l’herbe humide, à quelques mètres de l’extrême bord du canal, les yeux fixés sur le ruban liquide, Cowley venait de déclarer :
– Je ne sais pas nager.
– Moi non plus, dit Burnecker.
Une mitrailleuse ouvrit le feu, quelque part, de l’autre côté du canal, et quelques balles traçantes décrivirent une arabesque au-dessus de leurs têtes.
Noah soupira, ferma les yeux. C’était une mitrailleuse américaine, car elle tirait dans leur direction. Elle était si proche, – à peine vingt mètres d’eau – et les deux autres ne savaient pas nager. Il pouvait presque sentir la photographie dans son portefeuille, avec la carte au dos indiquant la position du dépôt volant de munitions, de la batterie, d’un groupe de tanks de réserve qu’ils avaient dû contourner, le tout soigneusement reporté au verso de la photographie, par-dessus l’écriture de Hope. Vingt mètres d’eau. Après une si longue randonnée. Après tout ce qu’ils avaient subi. Après toute l’énergie qu’il avait dû déployer. S’il ne traversait pas maintenant, il n’y parviendrait jamais. Autant déchirer la photographie et se rendre à l’ennemi.
– Ça ne doit pas être très profond, dit Noah. C’est la marée basse.
– Je ne sais pas nager, répéta Cowley avec obstination.
– Burnecker ? dit Noah.
– Je veux bien en courir le risque, dit Burnecker.
– Cowley ?
– Je me noierais, dit Cowley. J’ai fait un rêve, la veille du jour J. J’ai rêvé que je me noyais.
– Je te tiendrai, dit Noah, je sais nager.
– Je me noyais, insista Cowley. Je m’enfonçais dans l’eau
Weitere Kostenlose Bücher