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Le Bal Des Maudits - T 2

Le Bal Des Maudits - T 2

Titel: Le Bal Des Maudits - T 2 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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trésor.
    Michael et Pavone sortirent. À la porte de l’église, Michael ne put s’empêcher de se retourner et de jeter un dernier coup d’œil dans la nef encombrée, malodorante et ténébreuse. Près de la porte, un vieillard agitait faiblement la main, mais personne ne faisait attention à lui ; et très loin, dans leur niche, infiniment petits et frêles, les deux enfants, le garçon et la fille, accroupis au-dessus de la ration K, grignotaient alternativement la longue tablette de chocolat qu’ils y avaient trouvée.
    En silence, ils réintégrèrent la Jeep, et Pavone reprit le volant. Un vieux Français trapu, d’une soixantaine d’années, se tenait près de la voiture, vêtu d’une veste de toile bleue et d’un pantalon déchiré, informe, vingt fois rapiécé. Il adressa à Michael et à Pavone un salut militaire français, plutôt tremblant. Pavone salua le vieil homme, qui avait une grosse moustache et ressemblait un peu à Clemenceau.
    Le Français s’approcha de Pavone, lui serra la main, puis serra la main de Michael.
    –  Américains, dit-il en un anglais laborieux ! liberté, égalité, fraternité.
    « Oh, Seigneur ! pensa amèrement Michael, un patriote ! Après l’église, il ne leur manquait plus qu’un patriote. »
    –  Je suis allé sept fois en Amérique, dit le vieillard, en français. Je parlais bien l’anglais, mais j’ai tout oublié.
    Un nouvel obus atterrit dans la rue voisine, et Michael souhaita que Pavone veuille bien se décider à repartir. Mais, appuyé sur son volant, Pavone écoutait les paroles du vieillard.
    –  J’étais matelot, dit le Français. Dans la marine marchande. J’ai visité les villes de New York, Brooklyn, New Orléans, Baltimore, San Francisco, Seattle, la Caroline du Nord. Je lis encore l’anglais couramment.
    Il se balançait d’une jambe sur l’autre, en parlant, et Michael conclut qu’il devait être légèrement ivre. Il avait un étrange regard jaune, et sa bouche tremblait sous sa moustache humide et tombante.
    –  Pendant la première guerre, continua le Français, j’ai été torpillé au large de Bordeaux. Je suis resté six heures dans les eaux de l’océan Atlantique.
    Il hocha énergiquement la tête, et parut immédiatement plus ivre que jamais.
    Michael traîna les pieds avec impatience, espérant inciter Pavone à démarrer. Mais Pavone ne broncha pas. Il écoutait atten tivement le vieux Français qui caressait la Jeep comme s’il se fût agi d’un fier coursier.
    –  Pendant la dernière guerre, reprit le Français, je me suis porté volontaire à nouveau, dans la marine marchande.
    Ce n’était pas la première fois que Michael entendait des Français désigner les batailles de 1940, la chute de la France, sous le nom de « dernière guerre ». « Cette invasion est donc la troisième, calcula-t-il automatiquement. C’est trop, même pour des Européens. »
    –  Ils m’ont dit que j’étais trop vieux, au bureau de la place, reprit le Français, en frappant furieusement le capot de la Jeep et qu’ils m’appelleraient si la situation devenait désespérée. Il éclata d’un rire sardonique. « La situation n’a sans doute jamais semblé désespéré, aux yeux des jeunes gens du bureau de la place ! Ils ne m’ont jamais appelé. » Il regarda vaguement, autour de lui, l’église ensoleillée, les piles de bagages hétéroclites, la place jonchée de débris, les maisons écroulées.
    –  Mon fils était dans la flotte. Il a été tué, à Oran, par les Anglais. Oran, en Afrique. Mais je ne leur en veux pas. C’est la guerre…
    Pavone exprima sa sympathie en touchant délicatement le bras du vieillard.
    –  C’était mon seul enfant, continua calmement le Français. Je lui décrivais les villes de New York et San Francisco, quand il était petit.
    Brusquement, il retroussa sa manche gauche.
    –  Regardez, dit-il.
    Michael se pencha en avant. Sur les muscles puissants du vieil avant-bras était tatouée une reproduction du « Wolworth Building », au sommet environné de nuages romantiques.
    –  Le Wolworth Building, dans la ville de New York, dit fièrement l’ancien matelot. Il m’avait beaucoup impressionné.
    Michael se rassit correctement et tapa du pied, pour faire démarrer Pavone. Pavone ne bougea pas.
    –  Une belle reproduction, dit chaleureusement Pavone.
    Le Français acquiesça et déroula sa manche.
    –  Je suis heureux que vous soyez enfin venus, dit-il.

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