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Le Bal Des Maudits - T 2

Le Bal Des Maudits - T 2

Titel: Le Bal Des Maudits - T 2 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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Vous, les Américains.
    –  Merci, dit Pavone.
    –  Quand les premiers avions américains sont venus, ils avaient beau nous bombarder, je montais sur mon toit et je leur faisais signe. Et maintenant que vous êtes là, en personne, ajouta-t-il délicatement, je comprends aussi pourquoi vous avez mis si longtemps à venir.
    –  Merci, répéta Pavone.
    –  Une guerre n’est pas une affaire de minutes, quoique les gens disent. Et chaque guerre est plus longue que la précédente. C’est l’arithmétique de l’histoire.
    Il hocha la tête avec emphase.
    –  Je ne nie pas qu’il ait été terrible d’attendre. Vous n’avez aucune idée de ce que c’est que de vivre tous les jours avec les Allemands.
    Il tira de sa poche un vieux portefeuille dépenaillé, qu’il ouvrit.
    –  Depuis le premier jour de l’occupation, j’ai toujours porté ça sur moi.
    Il montra le portefeuille à Pavone, et Michael se pencha une seconde fois pour regarder de quoi il s’agissait. C’était un drapeau miniature, étalé sous le celluloïd transparent d’une des cases du portefeuille,
    –  S’ils l’avaient trouvé sur moi, dit le Français en regardant la mousseline tricolore, ils m’auraient fusillé. Mais je l’ai toujours porté, depuis quatre ans.
    Il soupira et rangea son portefeuille.
    –  Je viens de revenir du front, annonça-t-il. Quelqu’un m’avait dit qu’au milieu du pont, entre les Anglais et les Allemands, était étendue une vieille femme. « Vous devriez aller voir si ce n’est pas votre femme », qu’il m’avait dit. J’y suis allé.
    Il s’arrêta, regarda le clocher mutilé.
    –  C’était ma femme…
    Il se tut un instant, caressant toujours la Jeep. Ni Michael, ni Pavone ne répondirent.
    –  Quarante ans, expliqua le Français. Il y avait quarante ans qu’on était mariés. On avait eu nos hauts et nos bas. On habitait sur l’autre rive du fleuve. Je suppose qu’elle avait oublié un serin ou une perruche et qu’elle a voulu retourner les chercher, et les Allemands l’ont mitraillée. Mitraillée ! une femme de soixante ans. Ils sont inconcevables, les Allemands. Elle est au milieu du pont, avec sa robe retroussée, et la tête en bas. Les Canadiens n’ont pas voulu me laisser y aller la chercher. Il faudra que j’attende que la bataille soit finie. Ils me l’ont dit. Elle avait mis sa plus belle robe.
    Il se mit à pleurer. Ses larmes coulèrent sur sa moustache, et il les avala, distraitement.
    –  Quarante ans de mariage. Je l’ai vue il y a une demi-heure.
    Il ressortit son portefeuille de sa poche, en pleurant.
    –  Mais, même après ça, dit-il sauvagement. Même après ça…
    Il ouvrit le portefeuille et embrassa le chiffon tricolore, sous son enveloppe de celluloïd, l’embrassa passionnément, avec une ardeur démentielle.
    –  Même après ça…
    Il secoua la tête, remit le portefeuille dans sa poche. Il caressa la Jeep une dernière fois et s’éloigna, d’un pas incertain, entre les vitrines éventrées, les tas de briques et les trous de bombes ; s’éloigna sans saluer et sans dire au revoir.
    Michael le regarda partir, le visage brûlant et rigide.
    Pavone soupira, démarra lentement, ils se dirigèrent vers la sortie de la ville. Michael observait toujours les fenêtres, mais sans crainte, persuadé qu’elles ne recelaient plus aucun ennemi en embuscade.
    Ils dépassèrent le mur du couvent, mais l’homme de Toronto avait quitté son fossé. Pavone appuya sur l’accélérateur, et la Jeep bondit sur la route. Ils avaient été bien inspirés de ne pas s’arrêter devant le mur du couvent, car ils avaient à peine fait trois cents mètres qu’ils entendirent une violente explosion. Michael se retourna. À l’endroit où ils venaient de passer s’élevait un tourbillon de fumée et de poussière.
    Pavone regarda, lui aussi. Puis ses yeux croisèrent ceux de Michael. Ils ne sourirent ni ne parlèrent. Pavone se retourna vers la route et se courba sur son volant.
    Ils parcoururent sans encombre le kilomètre de route qui se trouvait sous le feu direct de l’artillerie. Pavone stoppa et céda le volant à Michael.
    Avant de s’asseoir au volant, Michael regarda en arrière. Rien à l’horizon ne permettait de soupçonner la proximité d’une ville, détruite ou non.
    Il démarra. Il se sentait mieux de tenir le volant. Sans mot dire, ils continuèrent leur voyage de retour, en direction des lignes américaines.
    Un

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