Le Bal Des Maudits - T 2
était touché aux jambes ou aux bras, ce ne serait jamais bien sérieux.
Allongé dans l’obscurité, il écouta le bourdonnement des avions et les sifflements mortels des shrapnels. Il commença à se sentir bien à l’aise et bien protégé, au fond du trou dans lequel il dormait. L’intérieur du trou était tapissé de toile raide prélevée sur un planeur fracassé, et son tapis de sol était un morceau de panneau de signalisation phosphorescent, qui conférait à l’établissement souterrain un cachet de luxe oriental.
Michael se demanda quelle heure il était, mais il était trop fatigué pour chercher sa lampe électrique et consulter son brace let-montre. Il était de garde de trois à cinq, et il se demanda si ça Valait le coup de se rendormir.
Le raid suivait son cours. « Les avions doivent voler très bas, pensa-t-il ; ils leur tirent dessus à la mitrailleuse. » Il écouta les mitrailleuses et le bourdonnement patient des avions. Combien de raids aériens avait-il déjà subis ? Vingt ? Trente ? La Luftwaffe avait déjà essayé de le tuer trente fois, d’une façon générale et impersonnelle, et trente fois elle avait échoué.
Il fit Joujou avec l’idée d’une blessure. Une jolie petite fente de dix ou douze centimètres dans le gras de la cuisse. Avec une bonne fracture du fémur, très radio photogénique, par-dessus le marché. Michael se vit descendre bravement le plan incliné de la Grand Central Station, à New York, avec armes, bagages, béquilles, décorations et papiers de démobilisation dans sa poche.
Il bougea, sous ses couvertures, et son sac se déplaça, sur lui, avec un mouvement insolite, presque vivant. Il eut la vague impression d’avoir une femme couchée sur lui. Et soudain il désira impérieusement une femme. Il évoqua toutes celles avec lesquelles il avait fait l’amour, et les endroits où c’était arrivé. Sa première maîtresse, Louise, âgée de seize ans, mais sachant exactement ce qu’elle voulait et comment l’obtenir. Un samedi soir, pendant que ses parents bridgeaient à trois pâtés d’immeubles de distance. Ses livres d’école posés sur une table, près du lit, l’oreille anxieusement tendue vers la serrure de la porte d’entrée. Toutes les autres Louises qu’il avait possédées. Il avait connu une quantité de Louises. La starlette de chez Warner Brothers, à Hollywood, qui habitait dans la Vallée, avec trois autres jeunes femmes ; la caissière du restaurant de la Soixantième Avenue, à New York ; Louise, à Londres, pendant les raids aériens, avec le radiateur électrique qui éclairait la chambre d’une chaude lueur rouge. Il aimait toutes les Louises, à présent, et toutes les Marys, et toutes les Margarets, et il remuait douloureusement, sur le sol dur, pensant à leur façon de rire et à la douce peau de leurs jambes et de leurs épaules, et aux choses qu’elles disaient quand il faisait l’amour avec elles.
Il pensa à toutes les femmes qu’il aurait pu avoir mais que, pour une raison ou pour une autre, il avait refusées. Helen, dix ans auparavant, Helen, grande et blonde, qui avait appliqué sa cuisse contre celle de Michael, dans un restaurant, et lui avait chuchoté quelque chose à l’oreille, pendant que son mari était parti acheter des cigares. Mais son mari avait été, au collège, le meilleur ami de Michael, et, mi-choqué, mi-plein de noblesse, Michael avait repoussé ses avances. Il revit le grand corps souple aux formes pleines de la femme de son ami, et bougea, torturé, dans l’obscurité. Florence, qui était venue le voir avec une lettre de la mère de Michael, parce qu’elle voulait faire du théâtre. Florence avait été très jeune et maladroitement provocatrice. Il lui aurait été facile de la séduire. Mais Michael avait découvert qu’elle était vierge et, sentimental, il avait pensé qu’il n’était pas juste qu’une vierge se donne ainsi, en passant, à un homme qui ne l’aimait pas et qui ne l’aimerait jamais. Il revit la svelte jeune fille de sa ville natale et se tordit avec désespoir, sous son sac.
Et puis la danseuse moderne, dont le mari était pianiste et qui, feignant d’être complètement ivre, lui était tombée dans les bras, à cette surprise-party, dans la 23 e Rue, mais Michael couchait alors avec une institutrice de New Rochelle. Et la jeune fille originaire de la Louisiane, qui s’était offerte à lui, mais avait trois frères énormes, dont
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