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Le Bal Des Maudits - T 2

Le Bal Des Maudits - T 2

Titel: Le Bal Des Maudits - T 2 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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bas noués ensemble, une marmite, une chaise brisée, oublieux des canons anglais qui tiraient autour d’eux, oublieux des canons allemands qui bombardaient toujours la ville, oublieux des soldats ennemis encore embusqués dans les ruines, oublieux de tout, à l’exception de ces torrents de pierres, de bois et de débris qui avaient été leurs foyers, et dans lesquels étaient enfouis les biens accumulés au cours de leurs vies.
    Dans la rue attendaient des brouettes et des voitures d’enfant. De temps à autre, les chercheurs descendaient des tas de décombres et déposaient dans les petits véhicules une brassée pitoyable d’objets poussiéreux. Puis, sans regarder les Américains, sans regarder les Canadiens qui passaient parfois dans la rue, ils escaladaient de nouveau le torrent statique et recommençaient à creuser, au petit bonheur, en quête de quelque autre trésor brisé.
    En regardant les tristes moissonneurs, Michael oublia qu’il pouvait, d’un instant à l’autre, recevoir une balle entre les omoplates, à cet endroit qui semblait avoir été conçu pour recevoir des balles, ou dans la partie tendre et mobile qui se trouvait au-dessous de sa cage thoracique et où il avait toujours su qu’il serait touché, si jamais il était touché de face. Il aurait désiré se lever et faire un discours à ces Français qu’il voyait là fouillant les ruines de leurs foyers. « Partez, aurait-il désiré leur dire. Fuyez la ville. Rien de ce que vous pouvez retrouver ne vaut d’y sacri fier votre vie. Ce que vous entendez là, au-dessus de vos têtes, ce sont des obus qui éclatent. Et lorsqu’un obus éclate, l’acier ne fait aucune distinction entre les uniformes et la chair, les militaires et les civils. Revenez, lorsque la guerre se sera éloignée. Vos trésors sont en sécurité, parce que personne n’en veut et parce qu’ils ne peuvent être utiles à personne. »
    Mais il ne dit rien, et la Jeep descendit lentement la rue dans laquelle, en proie à la fièvre de la possession, les habitants fouillaient les ruines à la recherche de cadres d’argent ayant contenu des photos de grand-mères, d’ustensiles de cuisine et de menus objets d’art, de couvre-lits brodés qui avaient été blancs avant que s’abatte la catastrophe.
    Ils parvinrent à une vaste place, déserte à présent, et complètement ouverte d’un côté, où toutes les maisons avaient été entièrement rasées. À l ’autre extrémité de cette place coulait l ’Orne. Et au-delà, Michael le savait, se trouvaient les lignes allemandes. Il savait également qu’en ce moment même des yeux ennemis devaient guetter le lent progrès de la Jeep. Il savait que Pavone le savait, et pourtant Pavone n’accélérait nullement l’allure. « Qu’est-ce que ce salaud-là veut prouver ? pensa Michael, et pourquoi diable ne le prouve-t-il pas tout seul ? »
    Mais personne ne leur tira dessus, et ils continuèrent.
    Tout paraissait tranquille, bien que les canons fussent toujours en train de tirer. Le bruit du moteur de la Jeep, si familier après tant de jours passés en sa compagnie, dans la poussière des routes et parmi les convois et les explosions des obus, ne produisait plus aucune impression sur les tympans de Michael. Ce qu’il guettait, c’était la chute d’une pierre, le grincement d’une clenche de porte, le claquement d’une culasse, n’importe où alentour, dans les rues mortes de la vieille ville, et il était sûr qu’il entendrait un tel bruit, s’il se produisait, même si tout un régiment d’artillerie ouvrait le feu au même instant dans un rayon d’une centaine de mètres.
    La Jeep entrait et ressortait sans cesse du pesant soleil d’été et des ombres pourpres de France, que les peintures de Cé zanne, de Renoir e t de Pissarro avaient fait connaître à Michael longtemps avant qu’il eût posé le pied sur la terre française. Pavone stoppa la Jeep pour consulter un poteau indicateur, dont les plaques, avec une touchante fierté municipale, nommaient deux routes qui n’existaient plus. Pavone conduisait lentement, regardant autour de lui d’un air intéressé, et Michael divisait son temps entre des contemplations moroses de la nuque brune et grasse de son supérieur et des murs gris lézardés desquels, à chaque instant, pouvait jaillir sa propre mort.
    Puis Pavone accéléra et lança la Jeep sur ce qui, autrefois, avait été une artère principale.
    –  Je suis venu ici en

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