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Le Bal Des Maudits - T 2

Le Bal Des Maudits - T 2

Titel: Le Bal Des Maudits - T 2 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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kilomètre plus loin, ils virent des troupes venir à leur rencontre, en une double file indienne, de chaque côté de la route, et entendirent un son bizarre. Un instant plus tard, ils constatèrent qu’il s’agissait d’un bataillon d’infanterie ; des Écossais-Canadiens, chaque compagnie précédée d’un joueur de cornemuse, marchant lentement vers une route qui conduisait, à gauche, à travers les champs de blé. Par-dessus les champs de blé, on apercevait les têtes et les armes d’autres soldats. Tous se dirigeaient vers le fleuve.
    Le bruit des cornemuses paraissait martial, comique et pathétique à la fois, dans la campagne déserte. Michael ralentit, en approchant des troupes en marche. Ils marchaient pesamment, suant sous leur lourd équipement de combat, chargés de grenades et de caisses de bandes de mitrailleuse. En tête de la première compagnie, juste derrière le joueur de cornemuse, s’avançait l’officier auquel avait été confié le commandement du bataillon. C’était un jeune capitaine au visage rubicond, à la moustache rousse. Il portait une petite badine de jonc et marchait d’un pas martial en tête de ses hommes, comme si la petite musique criarde des cornemuses eût constitué pour lui la plus entraînante des marches militaires.
    L’officier sourit lorsqu’il l’aperçut la Jeep et agita sa badine. Michael regarda les hommes. Leurs traits étaient tirés et couverts de transpiration. Aucun ne souriait. Leurs uniformes et leurs équipements étaient propres et nets, et Michael savait que ces hommes marchaient vers leur première bataille. Ils marchaient silencieusement, déjà las, déjà trop chargés, visages tendus et inexpressifs, comme s’ils écoutaient non les cornemuses et le bruit lointain des canons, mais une voix qui parlait au plus profond d’eux-mêmes et qu’ils devaient écouter avec une attention soutenue s’ils désiraient comprendre ce qu’elle leur disait.
    Mais, lorsque la Jeep parvint à la hauteur de l’officier, il sourit largement, un sourire sain d’athlète de vingt ans, un sourire meublé de dents blanches, sous la moustache charmante et ridicule, et, bien que la Jeep ne fût qu’à deux mètres de lui, il rugit d’une voix qui dut être entendue à cent mètres à la ronde :
    –  Belle journée, n’est-ce pas ?
    –  Bonne chance, répondit Pavone, du ton simple, modéré, bien modulé, de l’homme qui revient de la bataille et peut à présent contrôler sa voix. Bonne chance à vous tous, capitaine.
    Le capitaine agita de nouveau sa badine, d’un geste amical, légèrement nerveux, et la Jeep croisa lentement le reste de la compagnie, en queue de laquelle marchait le médecin, avec son casque à croix rouge et ses boîtes à pansement à la main.
    La musique des cornemuses décrut en échos fragiles. La compagnie s’engagea dans le champ de blé et s’y enfonça toujours plus profondément, troupe armée marchant à regret dans une mer ondulante et dorée.
    Michael s’éveilla, écouta le grondement croissant de la canonnade. Il était déprimé. Il renifla l’odeur humide et moisie du trou dans lequel il dormait, la puanteur acide et poussiéreuse de la toile de tente dressée au-dessus de sa tête. Allongé dans l’obscurité, bien au chaud sous les couvertures, trop fatigué pour remuer, il écouta le grondement de la canonnade, qui se rapprochait de seconde en seconde. « Le raid habituel, pensa-t-il, toutes les nuits que le Bon Dieu fait ! » Jamais il n’avait autant détesté les Allemands.
    Le son des canons était très proche, à présent, et il y avait, alentour, la pluie meurtrière et sifflante des shrapnels, et les sons précis, assourdis, de l’acier entrant dans la terre. Michael leva le bras, saisit son casque et le posa sur son sexe. Puis il attira à lui son paquetage, bourré de caleçons, de pantalons et de chemises de rechange, et le roula par-dessus lui, sur son ventre et sa poitrine. Enfin, il croisa ses bras sur son visage, sentant l’odeur chaude de sa propre chair, et l’odeur de transpiration des manches de son maillot de corps. « Voilà, pensa-t-il lorsque cette routine nocturne qu’il avait mise au point au cours des semaines passées en Normandie fut totalement accomplie, voilà ; maintenant, ils peuvent me toucher. » Il avait soigneusement déterminé les parties de lui-même qui étaient les plus vulnérables et les plus précieuses, et toutes étaient protégées. S’il

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