Le Brasier de Justice

Muriette était avare. Mauvaise, j’vous l’dis. Elle préférait j’ter les œufs aux cochons que d’les donner à nous autres. Après… enfin après l’crime, Madeleine m’a d’mandé conseil, j’lui ai dit d’fermer son clapet.
    — N’était-elle pas partie au lavoir, avec les autres servantes de la maison, en ce jour terrible ?
    — Si. Mais j’vous ai rin dit.

    Hardouin cadet-Venelle songea qu’il avait eu du flair en réglant sa nuit par avance à maîtresse Hase. Il rentrait à Nogent-le-Rotrou. Le chien qui n’avait pas encore de nom et qui frétillait de la queue à revoir son nouveau maître serait à son aise dans la cour intérieure, en espérant qu’il ne se prenne pas d’une passion vorace pour les occupants du poulailler !
    1 - L’église, magnifique, était déjà citée dès l’an mil. Elle fut agrandie au XV e siècle.

    2 - Le nombre de femmes qui décédaient en période périnatale était considérable.

    3 - On louait les services d’une nourrice humide (par opposition à « sèche ») afin d’allaiter les nouveau-nés, soit parce que leur mère était décédée, soit, dans le cas des femmes aisées, afin qu’elles soient déchargées de nourrir leur enfant.

    4 - Graisser la patte.

XX
    Alentours de Nogent-le-Rotrou, octobre 1305,
 un peu plus tard
    A genouillée contre le lit de son fils Guillaume, âgé de cinq ans, Mahaut de Vigonrin priait. Elle serrait la petite main bouillante entre les siennes et levait parfois le regard vers le visage d’angelot en sueur, livide. Elle refusait d’admettre que l’agonie tirait les traits enfantins et doux.
    Le bruissement d’une cotte lui fit tourner la tête. Agnès de Malegneux, sa belle-sœur, se tenait derrière elle, mains jointes en prières, l’air dévasté.
    — A-t-il un peu repris conscience, ma sœur ?
    — Non pas, chère Agnès. Toutefois, j’ai la conviction qu’il respire avec plus d’aisance. Les horribles diarrhées ont cessé, ainsi que les dégorgements.

    Par compassion envers cette mère déchirée qui tentait de se rassurer comme elle le pouvait, Agnès hocha la tête. Le mire, Antoine Méchaud, réputé pour son immense savoir et son excellence, venait de partir. Évitant le regard d’Agnès et celui de sa mère, la baronne mère Béatrice de Vigonrin, il avait murmuré :
    — Mes dames… L’annonce que je m’apprête à faire après… après… ce que vous avez enduré… me bouleverse. Priez, de grâce… Je ne suis pas certain que le petit Guillaume passe la nuit.
    Un gémissement était monté aux lèvres de Béatrice de Vigonrin, qui s’était signée avant de demander d’une voix heurtée :
    — Messire mire… Je… S’agit-il d’une maladie de ventre, de mauvaise bile, sournoise et lente… Ou d’une malédiction ?
    — Madame, je ne crois aux malédictions que lorsque mon jugement a épuisé toutes les autres hypothèses.
    — Et tel n’est pas le cas ? s’était enquise Agnès de Malegneux, luttant contre les larmes.
    — Pas encore.
    — Une maladie pernicieuse ? Qui disparaîtrait pour reparaître à nouveau ? avait insisté Béatrice de Vigonrin.
    Prudent, le mire avait résumé :
    — Votre époux, madame, décéda il y a un peu plus de deux ans. Votre fils, François, père de Guillaume, huit mois plus tard. Les épidémies se propagent bien plus rapidement. J’espérais donc, je vous l’avoue, ne plus devoir accompagner la hideuse agonie d’un membre de votre famille. À mon plus grand désespoir, c’est maintenant votre petit-fils qui risque fort de nous quitter, après des symptômes similaires à son grand-père et à son père. Aucun autre de votre mesnie 1 ne fut atteint.
    — Un… empoisonnement de sang ? avait suggéré Agnès de Malegneux.
    — Le sang que je leur ai tiré semblait normal, fluide à souhait et d’un beau carmin, avait rétorqué le médecin, qui, à l’instar de tous ses confrères, avait pratiqué plusieurs saignées 2 . Au demeurant, sa légèreté m’avait surpris dans le cas de monsieur votre père, en raison de son âge. Le sang des vieillards amateurs de bonne chère est bien souvent très visqueux.
    — Je… Doux Jésus, je me déteste d’une telle pensée égoïste en pareil moment, mais je redoute pour la vie de mon fils Étienne, avait murmuré Agnès.
    — Apaisez-vous, madame, nous allons redoubler de vigilance à son égard, avait tenté de la rassurer Antoine Méchaud. Étienne est robuste pour