Le Brasier de Justice
êtes, si je puis me permettre ?
— La nourrice humide 3 .
Hardouin s’étonna qu’elle se montre si désagréable alors même qu’elle ignorait ce dont il souhaitait s’entretenir avec son maître.
— Aigre humeur que la vôtre, jeune femme. Les gens de votre région ont pourtant réputation plaisante envers les étrangers.
Elle cligna des paupières et soupira. D’une voix redevenue presque aimable, elle s’excusa :
— Le pardon, messire. C’est qu’j’ai eu ben peur.
— De moi ?
— Oh non, d’elle, rectifia-t-elle en désignant le corps d’habitation dans lequel avait disparu la fillette. Blandine, une vipère !
— À cet âge ?
— J’me suis réveillée et Antonin avait disparu. Mon sang s’est figé. Faut vous dire que j’en allaite deux de même, le mien et lui. En plus, j’fais le manger pour tous, maître et valets de ferme, et un peu d’rangement.
Elle semblait si désolée qu’Hardouin voulut la rassurer pour une faute bien anodine :
— Un coup d’épuisement. Cela arrive.
— Vous comprenez pas, contra-t-elle en baissant la voix. Elle… Blandine hait son p’tit frère. L’a failli l’étouffer dans son berceau. J’suis arrivée juste à temps… l’avait la face toute bleue. Quand j’lai plus vu à mon éveil… Dieu du ciel… j’ai pensé qu’le pire était advenu… par ma faute ! Elle est capable de l’balancer dans l’puits ou d’le noyer dans la rivière.
— Votre pardon ? s’exclama Hardouin, stupéfait.
— Elle l’accuse d’avoir tué sa mère. Elle le hait, j’vous dis, et lui f’ra un sale coup à la moindre occasion.
— Et le maître, qu’en pense-t-il ?
— Oh lui… y dit qu’ça passera. Le jour où elle lui aura occis son marmot, il pensera plus d’même, mais ce s’ra trop tard. Au fond… p’têt’ que vous êtes arrivé à temps, p’têt qu’elle partait pour la rivière… Oh, doux Jésus ! J’crois qu’j’vais pas rester dans cette place… Pas envie d’être tenue pour responsable en cas d’pire. Des nourrices avec un lait tel qu’l’mien, ça cherche pas longtemps d’la besogne. Le maît’, vous l’trouverez au champ Bourgeois, à la sortie est du village.
Elle hocha la tête, semblant avoir pris une décision :
— Oui-da, c’t’une fois d’trop… après, ça va être moi qu’on m’accuse de négligence… J’prépare mon frusquin et dès que not’ maît’ rentre, y m’paye mon dû et j’prends l’escampe.
Lui souriant pour la première fois, elle conclut :
— Vot’venue… c’est p’têt ben un signe. Faut qu’je parte, j’tournicotais depuis des jours. J’veux pas voir le p’tit crever.
Il n’eut même pas le temps de la remercier pour ses renseignements. Elle fonça vers la maison, le bébé toujours dans les bras.
Il trouva sans trop de difficulté le champ Bourgeois. Un hongre de Perche gris foncé, ses rênes lâchement attachées à une branche basse d’arbre, mâchonnait quelques brins d’herbe. Il jeta un regard paisible à Fringant. Un sourire involontaire flotta sur les lèvres de l’exécuteur. Quels magnifiques animaux que ces chevaux. Quelle beauté que leur col, leur dos, la robustesse de leurs jambes qui avaient porté les croisés jusqu’en Terre sainte. Certes, ils ne possédaient pas la rapidité d’un Fringant mais la compensaient par une puissance et une résistance à toute épreuve.
Le regard de Hardouin cadet-Venelle balaya le champ en pente douce, sans distinguer de silhouette humaine. Il démonta, ordonnant d’un geste au chien qui ne le quittait plus de l’attendre aux côtés de son étalon et avança de quelques pas, se remémorant le commentaire d’Adèle Baubette : « J’me méfiais du gars Fortin, à qui j’aurais pas donné le paradis sans confession, si vous voulez mon sentiment. Un fourbe, j’crois bien. »
— Oh là, maître Fortin ? héla Hardouin à plusieurs reprises.
Il n’obtint aucune réponse. Étrange : on ne laissait pas un cheval de prix très longtemps sans surveillance. Le fermier devait se trouver à proximité. Cadet-Venelle progressa vers un petit bois situé à sa gauche, songeant que le rideau d’arbres avait pu étouffer ses appels.
Le bois protégeait en son centre un étang de taille modeste. Hardouin comprit bien vite pour quelle raison Alphonse Fortin était resté sourd. Il dormait, étendu sur le dos, bras en croix, bouche ouverte. Son ronflement à réveiller les
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