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Le Brasier de Justice

Le Brasier de Justice

Titel: Le Brasier de Justice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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ses quatre courtes années, bouillonnant de vitalité.
    — Certes, la vieillerie avait affaibli mon père, mais François, mon frère, était un magnifique représentant de la gent forte, un chêne, avait-elle argumenté.
    — De grâce, mesdames ne vous mettez pas terrifiantes folies en tête. Rien n’arrivera au petit Étienne. Je le viendrai visiter et examiner chaque semaine s’il vous sied.
    Agnès avait approuvé d’un clignement de paupières, aussitôt imitée par Béatrice de Vigonrin qui avait repris :
    — Si… si Guillaume passe… La lignée directe des Vigonrin, leur nom s’éteindra avec lui. Dieu du ciel, quelle injustice ! J’ai perdu mes trois fils, seigneur mire. Ne me reste que ma fille chérie, Agnès, et son fils. Certes, j’éprouve une vive tendresse pour ma fille d’alliance, Mahaut, tendresse amplement méritée par elle, mais elle n’est point de notre sang.
    Antoine Méchaud avait hoché la tête avec tristesse. La réputation de piété, de dignité et d’équité des Vigonrin n’avait rien à envier à leur belle noblesse. De fait, le malheur semblait s’acharner sur eux depuis quelque temps. Six ans plus tôt, Jean, le cadet, était mort d’un accident de chasse. Un cerf blessé qu’il croyait à l’agonie et dont il s’était approché afin de l’achever s’était brusquement redressé et l’avait navré de ses andouillers. Solide carcasse, à l’image de tous les hommes de la famille, Jean avait résisté à la mort durant deux jours avant qu’elle ne triomphe. Deux ans plus tard, le cadavre du benjamin, Philippe, avait été retrouvé à l’orée d’un bois, non loin de la Rapouillère, lardé de coups de couteau, détroussé jusqu’à ses bottes. L’enquête avait conclu à un meurtre crapuleux, commis par un ou plusieurs vauriens de chemins qui avaient pris l’escampe. Un peu moins d’un an et demi auparavant, François, l’aîné, rejoignait ses frères auprès de son Créateur, à la suite de ce que la baronne Béatrice de Vigonrin avait nommé une pernicieuse maladie.

    Agnès s’approcha de sa sœur d’alliance toujours agenouillée et posa la main sur son épaule en conseillant d’un ton doux :
    — Chère Mahaut, rejoignez-nous, restaurez-vous un peu. Vous n’avez guère mangé de plusieurs jours et… Guillaume a besoin de vous, de votre force.
    Mahaut de Vigonrin secoua la tête en signe de refus.
    — Vous êtes si bonne… Mais la perspective d’avaler une bouchée me lève le cœur. Il va un peu mieux… Je vous l’assure, chère Agnès, j’ai l’impression qu’il respire à son aise, il n’a point dégorgé, ni ne s’est vidé par le bas depuis des heures et je veux être à ses côtés lorsqu’il reviendra à la conscience. Je… je suis certaine que ces décoctions de chardon-Marie 3 que je le force à boire ont fait merveille…
    Agnès songea soudain que pour rien au monde elle ne voulait être présente lorsque le petit rendrait son dernier souffle. Bientôt, sans doute. Elle s’écarta de quelques pas après un dernier regard pour l’adorable visage enfantin dont la peau avait pris la couleur ivoire de la mort.
    — Je vais demander en cuisine que l’on vous réserve un en-cas 4 de bouche… si vous vous sentiez un peu de goût… plus tard. À vous revoir bien vite, ma sœur.

    Agnès de Malegneux soupa en compagnie de sa mère dans la grande salle du manoir. Leurs regards se frôlaient parfois pour s’enfuir aussitôt au loin. De rares et banals commentaires sur les mets furent échangés. Béatrice de Vigonrin se fit la réflexion qu’un malsain silence s’était abattu dans la vaste demeure. Chaque membre de la mesnie le redoutait : le petit maître, le très jeune baron, allait bientôt rendre son âme à Dieu. Elle lutta contre les larmes, s’efforçant avec vaillance de terminer son tranchoir. Et pourtant, chaque bouchée de chaudumé de brochet, idéal en ce jour maigre, cuit dans une sauce épaisse au vin blanc et au pain, rehaussé d’une pointe de gingembre et de safran, l’écœurait. Agnès engouffrait tout, avec une application suspecte qui trahissait aussi son absence d’appétit. Elle s’éclaircit la voix et lança d’un ton dont la jovialité forcée faisait peine :
    — Belle mangerie 5 , en vérité ! Si rassasiante que je vais passer l’issue de pâtes de poires et me contenter d’un gobelet d’hypocras.
    La baronne mère, Béatrice de Vigonrin, ne fut pas dupe du faux

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