Le Brasier de Justice
contraignez pas à indiquer votre nom au sous-bailli qui ne manquerait pas de vous faire sitôt quérir chez les Lafoi. Que d’ennuis pour vous !
Madeleine Fromentin serra entre ses bras la touaille qui protégeait la baudroie. Après un nouveau regard apeuré autour d’elle, elle secoua la tête en signe de dénégation, portant une main à son cou. D’une voix atone, elle confessa :
— Elle l’a tuée. Évangeline a tué Muriette Lafoi. Si messire Garin venait à apprendre que j’ai retenu mon témoignage, il me jetterait à la rue dans la seconde… Ayez pitié de mon fils, messire.
— Je ne vous souhaite nulle méchante aventure. Je cherche la vérité, tout simplement. Quoi vous permet d’être si affirmative ?
Une larme dévala le long de sa joue sans qu’elle semble s’en apercevoir. Elle expira et avoua :
— Parce que je l’ai vue.
— Qu’ouïs-je ? s’exclama l’exécuteur.
— Plus bas, messire, de grâce. Si l’on m’entendait… je… je…
Frôlant à nouveau son cou, elle expliqua :
— Alors que nous étions au lavoir, un frelon m’a piqué à la gorge. Annelette, l’une des autres servantes de corvée de linge, a exigé que je rentre sitôt afin d’appliquer un oignon coupé sur la piqûre, remède souverain selon elle. J’ai hésité, mais l’enflure devenait importante, des frissons me venaient et la tête me tournait. Et… Eh bien…
— Eh bien quoi ? insista avec douceur Hardouin, tant il sentait qu’elle revivait une scène d’effroi.
— Je suis passée par la porte extérieure de l’office, où l’on rangeait les victuailles et où je savais trouver un oignon. J’ai… elles criaient, s’insultaient. Maîtresse Lafoi menaçait Évangeline des gens d’armes du bailli, de la faire fouetter et jeter dans un cul-de-basse-fosse où elle serait affamée. Évangeline… enfin, elle… la nourriture la rendait folle de convoitise… Muriette Lafoi le savait et l’en privait souvent.
— Je sais, se souvint Hardouin. Elle la maltraitait, profitant de son idiotie.
— Oui. J’ai entendu l’écho de gifles et Évangeline qui pleurait, ne cessant de crier « non, non ! ». Muriette Lafoi braillait : « Voleuse, chienne, galeuse, pourriture ! Tu vas payer au décuple. » J’avais décidé de ressortir au plus preste, sans me faire remarquer. Maîtresse Lafoi pouvait avoir aigre bile.
Son incompréhensible rêve. Marie de Salvin le fixait, un rideau de flammes les séparant. Une médaille étincelait à son cou. Pourtant, on enlevait aux condamnées leurs bijoux .
Le carnet de procès : La femme Lafoi serrait dans sa paume une médaille de la Vierge, en argent .
— La médaille de la Vierge en argent ? Évangeline avait volé la médaille ? demanda cadet-Venelle.
— Elle ne l’avait pas vraiment dérobée, du moins dans son esprit désordonné, rectifia Madeleine en essuyant une autre larme.
— Comment pouvez-vous l’affirmer ?
— Parce qu’elle passait ses soirées dans sa soupente à l’embrasser et à la faire briller en lui parlant, des mots sans suite, des suppliques, des prières. J’ai tenté de la lui reprendre. J’aurais menti à Muriette Lafoi en prétendant avoir retrouvé son bijou sous un meuble. Évangeline fut prise d’une fureur terrible, au point que je crus qu’elle allait me frapper. Cette médaille était une sorte de sainte relique pour elle. Elle la couvait, certaine que la Très Bonne Vierge lui souriait à elle, en particulier.
— Qu’avez-vous fait après son éclat de colère ?
— Je l’ai calmée et j’ai tenté de lui expliquer, de lui répéter que si elle souhaitait la conserver, elle devait la bien cacher. Que si maîtresse Lafoi se rendait compte de son larcin, la punition serait terrible pour elle.
— Qu’a dit Évangeline ?
— « Voui-voui », à l’habitude. Elle n’a rien compris. Elle était contente. Je lui laissais son bien le plus précieux. Son unique bien.
Il fut bouleversé par le chagrin qu’il lisait sur le joli visage, par sa bouche qui frémissait, se crispait, retenant les sanglots qui montaient dans sa gorge, et s’en voulut presque de la devoir contraindre à l’aveu.
— Et ce jour-là ? Après l’altercation ?
— De grâce, messire… il me faut rentrer.
— Je ne le puis, je vous l’assure. Je dois apprendre toute la vérité, Madeleine.
— Je… je percevais la fureur dans la voix d’Évangeline. Et puis… Et puis
Weitere Kostenlose Bücher