Le Brasier de Justice
accrochés à tes talons. Débarrasse-t’en avant qu’il ne soit trop tard.
Tu crois et tu te trompes. Tu ne sais mais tu trouveras ce que tu ne cherchais pas.
Assez avec ces stupides charades ! se morigéna-t-il. Depuis quand accordait-il foi aux boniments d’une mendiante en guenilles qui extorquait quelques piécettes aux crédules assez benêts pour lui prêter oreille complaisante ?
En dépit des admonestations qu’il s’adressait, du mépris avec lequel il voulait considérer cette rencontre, ces rencontres, son humeur était troublée au point que sa course sans but sur le dos de Fringant ne le dérida pas.
Il démonta afin de déjeuner dans une auberge de Berd’huis, la choisissant pour son enseigne amusante : le Goret Plumé. Mal lui en prit.
Lorsqu’il pénétra dans la gargote, il eut le tort de s’obstiner en dépit des trois ivrognes bien imbibés et des deux femmes à l’évidence de mauvaises manières et de petite vertu déjà attablés. L’une, le haut de son chainse délacé afin de découvrir des mamelles flasques, leva la tête à son entrée et lui destina un clin d’œil appuyé. Il prétendit ne pas comprendre la lourde invite et s’installa à la table la plus reculée du groupe braillard.
L’aubergiste sortit du boyau qui devait mener en cuisines en s’essuyant les mains sur la touaille malpropre qui lui ceignait les reins et faisait office de tablier. Il s’avança à pas traînants vers son nouveau client et demanda, peu engageant :
— Ouais ? C’est quoi qu’vous voulez ?
— Ce pourquoi on entre en général dans une taverne, rétorqua Hardouin, dont la patience s’effilochait. Boire et manger.
Le bonhomme puait la sueur et des relents de vieille graisse et de viande tournée se dégageaient de ses vêtements à chacun de ses mouvements.
— Ouais… j’vas voir…
Maître Goret, qui portait bien son nom, repartit en bougonnant.
Hardouin songea qu’il ferait mieux de quitter l’établissement avant de s’énerver tout à fait. Qu’importaient cette auberge et les vauriens et vauriennes qui s’y enivraient ? Pourtant, une sorte d’attente perverse le retenait céans. D’étrange et stupide façon, il avait envie de se venger de la vieille diseuse. Il avait envie de se sentir à nouveau maître de lui, au point qu’il dut admettre qu’elle l’avait bien plus ébranlé qu’il ne l’avait d’abord cru. Bizarrement, cette vieille quémandeuse avait endommagé le lien puissant qu’Hardouin cadet-Venelle se sentait avec le destin. La mendiante qui se prétendait devin semblait connaître son futur et son passé, alors qu’il s’était toujours appliqué à suivre une route tracée devant lui sans jamais s’interroger sur sa destination. Pis : en vérité, elle lui avait fait peur. Cadet-Venelle voulait retrouver son destin obscur et n’en surtout rien prévoir. Il attendit donc, sans rien provoquer, sans rien esquiver.
Il s’efforça de ne pas entendre les remarques de plus en plus agaçantes des ivrognes se gaussant de sa mise de « môssieur », les éclats de rire forcés des semi-puterelles qui se faisaient rincer le gosier et devaient, en contrepartie, flatter leurs « mécènes » en s’esclaffant à leurs graveleuses plaisanteries.
Un des hommes, dont le ventre conquérant passait par-dessus la ceinture de ses braies, aux cheveux collés de crasse, brailla :
— Ben moi, j’dis qu’ça sent la fille, c’genre d’appareil. C’est pas un vrai mâle qui porterait ses ch’veux si longs et une culotte si ajustée qu’on lui devine l’contour du cul ! Y en a des qu’aiment bien s’retourner afin d’jouer la donzelle !
Les commentaires sur son inclination pour la gent forte amusèrent Hardouin. En revanche, l’odeur écœurante qui s’élevait du tranchoir que déposa maître Goret devant lui lui gâcha tout à fait l’humeur.
— Qu’est-ce ? exigea-t-il en désignant la masse noirâtre et malodorante.
— Ben, du bourbier 3 d’sanglier, tiens ! lâcha l’autre d’un ton méprisant en haussant les épaules.
— Vieux du mois ?
— N’empêche que c’est un demi-denier avec la vinasse. Alors, tu l’manges ou pas, peu m’en chaut, d’autant qu’j’goûte pas trop les cherche-noise tels que toi, l’homme. L’argent, et plus vite qu’ça.
Maître Goret tendit la main, adoptant un air viril et menaçant sans doute parce qu’il comptait sur ses familiers enivrés si l’affaire se
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