Le Brasier de Justice
opposés des vôtres.
— En effet… du moins, aux rumeurs qui se colportent, répondit Nogaret d’un ton amusé qui rassura Chappe. Bah, Dieu dans Son infinie sagesse nous a créés divers. Eh bien, que m’amenez-vous donc ?
Émile n’hésita qu’un instant et tira de sa tunique la missive qu’il venait de subtiliser. Messire de Nogaret en prit connaissance, les sourcils froncés de concentration. Le déplaisant regard qui évoquait celui d’un oiseau de proie se posa sur le jeune homme, puis :
— Je n’y comprends goutte.
— Eh bien, messire… l’histoire semble embrouillée… des meurtres d’enfants misérables en Nogent-le-Rotrou, ainsi que je vous l’avais confié… De ce qui m’est parvenu lors de l’échange entre messire Adelin d’Estrevers et le frère du roi, j’ai eu le sentiment que ce dernier s’y intéressait fort.
Chappe relata ensuite le contenu de la discussion entre les deux hommes, omettant de préciser qu’il était caché derrière le dorsal, mais bien certain que le conseiller comprendrait qu’il s’était livré à une indiscrétion, peu élégante mais profitable. Guillaume de Nogaret lui fit répéter certains points, et il s’efforça à la concision mais à la précision.
Un silence suivit. Lèvres pincées, examinant avec le plus grand soin la plume qu’il tenait toujours entre ses doigts, messire de Nogaret réfléchissait.
— Fichtre ! De fait, quel embrouillement. Que signifie tout ceci ? Un désir, légitime, de Monseigneur de Valois de voler au secours du bon Jean II de Bretagne, grand-père de son gendre ? Cependant, en ce cas, pourquoi ne pas le prévenir directement et pousser à la correspondance cette remarquable mère abbesse, Mme Constance de Gausbert ?
Émile Chappe s’était lui aussi longuement interrogé sur les véritables motivations de Charles de Valois. Il ouvrit la bouche, mais se ravisa. Messire de Nogaret l’encouragea d’un :
— Allons, mon bon Chappe… mes gentils compagnons de besogne le savent : je ne suis pas seulement friand de belles mains pour mes écritures, mais aussi, peut-être surtout, d’esprits vifs et fidèles, aptes à aider le mien sans me réserver de mauvais tours… que je ne pardonne jamais. Sachez que… nous discutons en cordialité, échangeant des suppositions, des hypothèses, bref du vent… rien d’affirmé.
La satisfaction que ressentait Émile ne fit que croître. Dieu du ciel, le conseiller le plus écouté du roi le consultait, lui demandant de lui prêter son esprit. Quelle réjouissance !
— Eh bien… Et si… j’use de votre permission à oser conjectures… Eh bien… quelques phrases de l’échange entre Monseigneur de Valois et son bailli d’épée me troublent l’entendement. Ainsi, le frère du roi insista sur le fait que l’identité du réel assassin d’enfants importait peu.
— Ce à quoi, d’après votre précise narration, messire d’Estrevers répondit : « Il nous faut pourtant la découvrir afin que cessent les meurtres lorsque nous aurons obtenu ce que vous souhaitez. »
— Avant que Monseigneur de Valois ne conclue d’un : « Et d’occire le meurtrier aussitôt pour qu’il ne récidive jamais, jetant un doute sur… l’authenticité du coupable qui nous sied ! », souligna Chappe.
— Fichtre, fichtre ! Qu’en faites-vous, mon bon Émile ?
Le jeune homme se jeta à l’eau, certain que messire de Nogaret était parvenu lui aussi à une hypothèse fort déroutante :
— Je suppute, ainsi que vous m’y avez autorisé et cela, bien sûr, sans aucune certitude… Et si Monseigneur de Valois voulait mettre Monseigneur Jean II de Bretagne en difficulté dans son fief de Nogent-le-Rotrou ? Quoi de plus efficace en ce cas qu’une montreuse affaire de meurtres d’enfants que son bailli est incapable d’élucider et qu’il pourrait monter en épingle pour souligner l’incurie qui règne dans cette bonne ville ?
— Hum… Et donc provoquer l’agacement du roi son frère et récupérer, par la force éventuellement, cette seigneurie ? Raisonnement intéressant. Toutefois, Isabelle, fille de Charles de Valois, étant l’épouse du petit-fils de Jean II, pourquoi ne pas simplement attendre le décès de celui-ci ? argumenta Nogaret.
— Qui peut tarder à survenir. D’autant que Jean, fils d’Arthur, n’est que le petit-fils de Jean II. La succession par alliance peut donc tarder à revenir chez les Valois. Et puis,
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