Le Brasier de Justice
dans la paume de sa main. Une poudre à l’aspect gras, gris foncé et terne s’écoula mollement. Elle la huma avec prudence. Une vague odeur douceâtre et métallique s’en dégageait.
Béatrice ne savait que faire. Remettre le psautier à l’endroit où elle l’avait découvert ou l’emporter ? Et si Mahaut se doutait de quelque chose et qu’elle le cachait ailleurs ou le détruisait ? Mieux valait donc le conserver afin de produire cette irréfutable preuve. Mais si Mahaut se rendait compte qu’on le lui avait subtilisé ? La fureur remplaça l’hésitation de la baronne mère. Et quoi ? Que ferait sa belle-fille ? Aurait-elle le front de se plaindre de la disparition du psautier ? Ce serait alors reconnaître qu’elle avait dissimulé une bien étrange poudre. Et d’ailleurs, qu’elle ose venir réclamer le cadeau que lui avait fait François et qu’elle avait désacralisé d’odieuse manière en recouvrant le Christ de sang, telle la sorcière, la maudite qu’elle était !
Mâchoires crispées de rage et de dégoût, la nausée lui montant dans la gorge, la baronne mère replaça la bourse et referma le psautier avant de sortir de la chambre de Guillaume. Ne fallait-il pas être possédée par le démon pour cacher l’outil d’épouvantables meurtres dans la chambre de son fils ?
1 - Moderne en la matière, le Moyen Âge croyait aux bienfaits de l’« aération ». Des témoignages, notamment de dames, montrent que les familles aisées quittaient souvent la ville afin d’« aérer » leur famille et les soustraire quelques jours aux miasmes urbains.
2 - Meuble monté sur quatre pieds, fermé de deux vantaux et dont l’intérieur était équipé d’une multitude de tiroirs, certains dissimulant des caches secrètes.
XL
Nogent-le-Rotrou, novembre 1305
L a nuit avait été reposante et cadet-Venelle achevait de se vêtir dans la chambre spacieuse qu’il occupait en l’auberge de la Hase Guindée. Il enfilait ses bottes de peau souple lorsqu’un coup de poing asséné contre la porte lui fit relever la tête. Peu dans la manière de maîtresse Hase.
— Qui va là ?
— Euh… moi, répondit une voix masculine qu’Hardouin reconnut aussitôt.
Il fit basculer le loquet de la porte. Arnaud de Tisans, les traits tirés de fatigue, ses vêtements raidis par la poussière des chemins, pénétra.
— Mess…
— Tisans suffira en ce lieu, l’interrompit le sous-bailli, la mine grave et fermée. J’ai à vous entretenir d’une affaire… épineuse.
— Expliquant votre visite.
Sans attendre d’invite, Arnaud de Tisans se laissa choir sur l’unique chaise de la chambre, étendant ses jambes devant lui en grimaçant.
— Vous semblez fatigué, commenta le bourreau.
— Oui-da. Je n’ai plus l’âge de galoper ventre à terre jusqu’à Paris, pour en revenir aussi vite.
— Paris ?
— Hum… j’y ai rencontré en discrétion un personnage de grande puissance que je ne nommerai pas, certain que vous devinerez son identité.
— Très grande puissance ? vérifia l’exécuteur.
— Considérable puissance. Peu réputé pour sa longanimité.
— Je vois. Enfin, d’ailleurs, je ne vois rien.
— Nous avons été menés, Venelle. Du moins me suis-je fait berner tel un benêt ! Fâcheuse sensation.
Prends garde ! On te mène, mon tout beau ! avait lancé la vieille diseuse. Tu crois et tu te trompes.
Un lent sourire étira les lèvres de cadet-Venelle, qui déclara :
— L’important n’est-il pas de s’en rendre compte ? Les petits miséreux, n’est-ce pas ? Cette histoire est trouble et je… comment dire… j’ai eu le sentiment… bref, que vous vous y trouviez en malaise.
— Habile acrobatie pour m’accuser de menterie ou, à tout le moins, de dissimulation envers vous, traduisit Tisans.
Venelle voulut protester pour la forme, mais le sous-bailli l’interrompit d’un geste.
— De grâce, vérité tolère mots crus. De fait, j’ai tenté de vous abuser. J’insiste sur « tenté », puisqu’à l’évidence votre peu d’empressement à me seconder dans cette enquête m’indique que vous n’étiez pas dupe. La dupe d’une autre dupe.
— Ma sensation était bien plus floue. Je ne saurai dire ce qui me retenait, rectifia Hardouin. Sans doute la certitude que ces enfants vous importaient peu, contrairement à leurs meurtres. Peut-être aussi, la conviction que vos liens avec messire Guy de Trais étaient
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