Le Brasier de Justice
aîné n’avait pas hérité de la poésie emportée, mais très séduisante de son père. Elle se souvint de l’écriture haute et inclinée, de ces phrases qui la faisaient rougir d’encombre et de plaisir : « Me promettez-vous de gémir lorsque je délacerai votre chainse de nuit pour baiser vos seins, de me griffer gentiment lorsque je vous pousserai vers notre couche ? Me jurez-vous de bouder en fronçant le nez avant de vous abandonner à moi, ma merveilleuse amante ? » Elle frissonna. Tant de temps. Pourtant, elle n’avait jamais oublié ses caresses.
Elle fouilla avec méthode durant ce qui lui sembla un long moment, passant dans la chambre, aux aguets. L’agacement se mêlait à son inquiétude et elle redoutait un retour de sa belle-fille. Elle palpa même l’intérieur du conduit de cheminée, le dessous des meubles, souleva la provision de bûches, retourna chaise et escame, puis se résigna à passer en revue les cachettes qu’elle avait jugées trop évidentes un peu plus tôt. En vain. Dépitée, exaspérée, elle ressortit en tapinois, épiant le couloir.
Dieu du ciel ! Elle aurait mis sa main au feu que Mahaut avait enherbé les deux François et fait accroire à une fièvre de ventre de son fils afin de détourner les soupçons d’elle. Où avait-elle caché le poison ? S’en était-elle débarrassée, son dernier forfait accompli ? Crime, puisqu’il fallait être démoniaque pour enherber un petit garçon, même en utilisant une dose légère. Guillaume avait été terriblement malade et n’avait réchappé à la mort que de peu.
Guillaume ! Mais bien sûr, quelle sotte elle faisait ! Béatrice se dirigea d’un pas vif et silencieux vers la chambre de son petit-fils. Une rouée, une maudite telle que Mahaut avait songé à la plus improbable, la plus insoupçonnable des caches : une chambre d’enfant, d’innocent.
La baronne s’agenouilla avec peine pour vérifier le dessous du matelas puis du lit. Elle fouilla l’almaire, tira le grand dorsal qui tendait l’un des murs et souleva le lourd couvercle du coffre. S’y entassaient quelques vêtements et des jouets de bois qui avaient appartenu à François enfant, et que Guillaume était encore trop petit pour porter ou trouver distrayants selon les cas, mais qui lui reviendraient dans quelques années. Elle passa une main fébrile sur le fond du coffre et ses doigts butèrent sur ce qui évoquait un livre. Elle tira l’objet et contempla le ravissant psautier à fermoir d’argent et couverture incrustée d’éclats de nacre et de turquoise formant le nom de Mahaut de Vigonrin, un luxueux cadeau de François pour la naissance de son hoir. Étrange, peu après le décès de son époux, Mahaut s’était inquiétée de la disparition du psautier. Elle avait retourné ses appartements dans le vain espoir de le retrouver. La baronne se remémorait ses exclamations de dépit et de tristesse : Dieu du ciel, le magnifique cadeau de feu son mari ! L’avait-elle égaré ? Cela ne se pouvait, elle en prenait un soin extrême. Et puis, Mahaut n’avait plus jamais mentionné le psautier et tous l’avaient oublié.
Béatrice de Vigonrin effleura le remarquable travail d’incrustation que son fils avait fait réaliser en royaume italien. Elle bascula le fermoir d’argent et retint le cri de stupéfaction et de répulsion qui lui montait aux lèvres. L’intérieur du psautier avait été évidé et la page de garde, représentant un Christ sur la Croix, barbouillée de ce qui ressemblait à du sang sec. Doux Jésus ! Mahaut avait donc vendu son âme au diable, en un intolérable marché, afin qu’il lui prête secours pour occire les membres de la famille !
Béatrice de Vigonrin se signa. Mahaut serait brûlée vive pour sa conduite impie, démoniaque. Elle serait tourmentée afin d’avouer ses péchés et peut-être révéler d’ignobles accointances, puis poussée au bûcher de justice.
Un cadavre desséché de grenouille ou de crapaud reposait sur une poche de toile noire, fourrée dans le compartiment ménagé. Béatrice l’extirpa avec prudence, une salive aigre s’accumulant dans sa bouche. Elle palpa l’espèce de bourse noire qui semblait contenir du sable ou une poudre et dénoua les liens qui la tenaient fermée. Secouée de frissons, le cœur battant d’appréhension, se souvenant d’avoir entendu que certains poisons brûlaient la peau tels les feux de l’enfer, elle versa un peu du contenu
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