Le bûcher de Montségur
ans, adoré un hérétique sur l’ordre de ses parents (ces faits sont cités par B. Gui et sont donc plus tardifs ; mais les inquisiteurs de la première heure ne négligeaient aucun fait, si minime soit-il, pour justifier une pénitence ; la plupart des suspects ne se voient rien reprocher d’autre que d’avoir écouté des hérétiques ou d’avoir pris part à leurs réunions).
Toute une population – ou du moins une grande partie de la population d’un pays – se voyait ainsi systématiquement traquée, espionnée, harcelée par toutes sortes de mesures de caractère vexatoire. La participation aux sacrements, l’assistance à la messe devenaient elles-mêmes des corvées imposées par une police omnisciente, sous peine de poursuites que l’on savait absolument arbitraires : l’appréciation du délit d’hérésie était à l’entière discrétion de l’inquisiteur, et un homme soupçonné d’une peccadille et refusant de parler était puni plus sévèrement qu’un parfait qui dénonçait spontanément ses frères. Il n’y avait pas là – comme dans le code civil ou criminel – un tarif de peines prévues pour telle ou telle infraction à la loi. Il n’y avait qu’une surenchère à la délation.
D’où l’extrême monotonie des registres de l’Inquisition qui relatent les interrogatoires d’hérétiques : à ces gens on demandait où, quand, chez qui, avec qui ils avaient vu des hérétiques, et pas grand-chose d’autre. Encore La Pratique de Bernard Gui nous apprend-elle que toutes les dépositions des prévenus n’étaient pas bonnes à enregistrer ; donc, tout ce qu’ils pouvaient dire pour présenter leur religion ou leurs chefs sous un jour favorable a probablement été escamoté par les greffiers. Du reste, La Pratique de l’inquisiteur nous donne le modèle de l’interrogatoire tel qu’il était pratiqué pour les cathares : « … on demandera au prévenu s’il a vu ou connu quelque part un ou plusieurs hérétiques, les sachant ou les croyant tels de nom ou de réputation ; où il les a vus, combien de fois, avec qui et quand ;
« item, s’il a eu quelque relation familière avec eux, quand et comment, et qui la leur a ménagée ;
« item, s’il a reçu à son domicile un ou plusieurs hérétiques, qui et lesquels ; qui les lui avait amenés ; combien de temps ils restèrent ; qui leur a fait visite ; qui les a emmenés ; où ils allèrent ;
« item, s’il a entendu leur prédication et en quoi elle consistait ;
« item, s’il les a adorés, s’il a vu d’autres personnes les adorer ou leur faire révérence à la façon hérétique ;
« item, s’il a mangé du pain bénit avec eux et quelle était la manière de bénir ce pain ;
« item, s’il a conclu avec eux le pacte convenensa … ;
« item, s’il les a salués ou s’il a vu d’autres personnes les saluer à la mode hérétique ;
« item, s’il a assisté à l’initiation de l’un d’eux ;
comment celle-ci s’est opérée ; quel était le nom du ou des hérétiques ; les personnes présentes, l’endroit de la maison où gisait le malade ;… si l’initié a légué quelque chose aux hérétiques, quoi et combien, et qui a acquitté le legs ; si l’adoration a été rendue à l’hérétique initiateur ; si l’initié succomba de cette maladie et où on l’enterra ; qui a amené ou ramené le ou les hérétiques ;
« item, s’il a cru que la personne initiée à la foi hérétique pouvait être sauvée…» etc. Les autres items portent sur la conversion personnelle du prévenu et sur son passé, sur les autres « croyants » qu’il connaît, sur ses parents, etc 170 . Les réponses et révélations des croyants interrogés par les premiers inquisiteurs montrent que les juges avaient dès le début pratiqué ce genre d’interrogatoire, et ne cherchaient pas à varier leurs méthodes.
Que ces questions aient été posées à des gens de peu de courage accourant au-devant des juges dès le premier jour du temps de grâce, ou à des malheureux épuisés par des mois de cachot ou par des tortures, les réponses ne varient guère. Des noms. Des lieux. Des dates. «… À Fanjeaux, au consolamentum d’Auger Isam assistaient Bec de Fanjeaux, Guillaume de La Ilhe, Gaillard de Feste, Arnaud de Ovo, Jourdain de Roquefort, Aymeric de Sergent (milites) (déposition de R. de Perrella, 1243), Atho Arnaud de Castelverdun demande le consolamentum dans
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