Le bûcher de Montségur
l’espoir peut-être d’en dissimuler de plus graves 168 .
Les juges, bien entendu, n’avaient que faire de pareils aveux, et pour prouver sa bonne foi le pécheur repentant devait, avant tout, dénoncer des personnes qu’il savait suspectes d’hérésie. On lui promettait le secret sur ses révélations. Il commençait, bien entendu, par accuser ses ennemis ou des gens qu’il ne connaissait presque pas, ou qu’il savait peu compromis. Cependant, la pénitence qui devait lui être imposée était proportionnée non à la gravité de sa faute, mais à la sincérité de son repentir ; et cette sincérité se mesurait au nombre et surtout à l’importance des hérétiques dénoncés.
Or, selon toute vraisemblance, les gens qui venaient s’accuser ainsi n’étaient pas des héros ; les pénitences canoniques, même sans privation de liberté, pouvaient être dures – nous allons les examiner plus loin – et le secret promis garantissait le suspect interrogé contre des représailles possibles. La lâcheté de beaucoup de convertis spontanés fut le grand et premier auxiliaire de l’Inquisition. Car il suffisait de la dénonciation de deux témoins pour autoriser des poursuites d’office contre un hérétique présumé.
Un grand nombre de personnes furent ainsi dénoncées, quand elles ne l’étaient pas déjà par les autorités locales ; durant le temps de grâce, elles avaient encore la ressource de se présenter d’elles-mêmes, ce que beaucoup faisaient, se sachant de toute façon compromises. Ceux qui ne le faisaient pas étaient passibles de poursuites. Ces poursuites consistaient, d’abord, en une citation écrite, remise en mains propres, après réception de laquelle le suspect devait se présenter devant le tribunal. Il était interrogé hors de la présence de témoins, et sans se voir communiquer la nature exacte des charges relevées contre lui. Dans ces conditions l’accusé avouait souvent plus qu’on ne lui en demandait, croyant les juges mieux renseignés qu’ils ne l’étaient. Si les faits reprochés à lui étaient graves, il était mis en prison en attendant le jugement ; il l’était presque toujours s’il refusait d’avouer ses fautes ; or, le cas était d’autant plus fréquent que l’aveu impliquait l’obligation de compromettre des coreligionnaires, ce à quoi les personnes honorables se refusaient, même quand elles n’étaient pas vraiment hérétiques. S’il n’était pas mis en prison, l’accusé restait, en quelque sorte, en liberté surveillée, sous caution d’une forte somme d’argent, et sans le droit de quitter la ville. Mais une fois en prison il tombait entièrement au pouvoir des juges, et ne pouvait bénéficier d’aucune espèce de garantie ni d’aucun secours du dehors.
L’inquisiteur était, à lui seul, juge, procureur et juge d’instruction. Les autres religieux qui l’assistaient ne pouvaient servir que de témoins, de même que le notaire qui enregistrait les dépositions. Donc, il n’y avait ni délibérations ni conseil, la seule volonté de l’inquisiteur décidait de la culpabilité du prévenu et de la peine qu’il méritait. Les aides de l’inquisiteur, s’ils n’avaient aucun pouvoir, étaient chargés d’obtenir des aveux, la seule personne de l’inquisiteur ne pouvant y suffire. Ceux qui refusaient d’avouer étaient soumis à des interrogatoires serrés au cours desquels il leur arrivait souvent de se trahir ; sinon, ils étaient mis en prison, dans des conditions si dures qu’une détention plus ou moins prolongée forçait les plus rebelles à se soumettre. Les cachots où ces suspects récalcitrants étaient enfermés étaient parfois si exigus qu’on ne pouvait s’y tenir ni couché ni debout ; sans lumière, telles les prisons de Carcassonne ou du château des Allemans, à Toulouse ; aux plus endurcis on mettait des fers aux mains et aux pieds ; on les torturait également par la faim et la soif. Il est certain que les personnes qui, plutôt que de parler, acceptaient de subir pendant des mois, parfois pendant des années, un traitement pareil, n’étaient qu’une infime minorité ; pour beaucoup la menace seule suffisait.
Cependant, confrontés avec des prévenus susceptibles de fournir des renseignements et assez fermes pour résister aux menaces, les inquisiteurs n’avaient pas toujours le temps de les laisser « pourrir » dans les prisons ; à ceux-là, il était permis d’appliquer
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