Le bûcher de Montségur
peu sûres, infestées de Basques et d’Aragonnais, les campagnes incendiées, les maisons en ruines : les barons du Midi, dans leurs guerres, se servaient de routiers, faute d’armée régulière. Mais les villages situés le long des routes sont rares, la plupart sont des bourgs fortifiés ou dépendant d’une ville, le paysan est bien souvent bourgeois et cultive sa vigne sous les murs de sa cité. La terre était fertile et la prospérité des villes se reflétait sur la vie des paysans. Non seulement les bourgeois, mais beaucoup de paysans sont des hommes libres et dans une grande partie des fiefs, l’absence d’un seigneur unique fait que les serfs ne dépendent pratiquement de personne.
Le bourgeois est un privilégié : il est non seulement libre, mais protégé par sa communauté et le développement de plus en plus grand du commerce et de l’artisanat est en train d’élever le petit peuple lui-même à la dignité d’une classe forte et consciente de ses droits.
La puissance de la bourgeoisie joue un rôle prépondérant dans l’évolution du Languedoc. La terre des troubadours est la terre du grand commerce, la terre où l’importance sociale du bourgeois commence à éclipser celle du noble. Il est vrai que, par snobisme, ou par un reste de complexe d’infériorité, les bourgeois cherchent encore à acquérir des titres de noblesse, mais c’est pour eux un luxe gratuit ; quand une bourgeoisie est traitée en égale par l’aristocratie, c’est qu’elle est, en fait, la plus forte.
Le Rhône et la Garonne sont de grandes artères par lesquelles circulent toutes les marchandises et matières premières, du Midi au Nord et du Nord au Midi. Marseille, Toulouse, Avignon, Narbonne sont de grands ports de commerce depuis l’antiquité. Les croisades, qui ont enrichi toutes les cités d’Occident, ont fait la fortune du Languedoc, terre de passage et clef de l’Orient ; les partants venaient y acheter l’équipement nécessaire pour le voyage, les revenants y vendaient le butin rapporté ; la noblesse du pays, aventureuse et vagabonde, a bien souvent été obligée de céder à vil prix sa terre et ses biens aux banquiers qui finançaient les expéditions en Terre sainte. À ces suzerains toujours à court d’argent les communes achèteront ensuite leurs libertés et privilèges, dont ils ne se laisseront plus dépouiller. Les bourgeois ne reconnaissent d’autres maîtres que leurs consuls, le comte de Toulouse n’a pas d’autorité légale dans sa propre ville et n’est obéi que tant qu’il respecte les lois de la commune.
Tout bourgeois a le droit de vendre, d’acheter, de troquer sans impôts ni taxes. Les mariages sont libres. Les ressortissants de pays étrangers jouissent des droits du citoyen, sans distinction de religion ou de race. La commune est le centre de la vie sociale ; l’élection du consul est une grande fête publique, qui égale en faste les fêtes religieuses, avec processions et carillon des cloches de toutes les églises. La vie du citoyen, de la naissance à la mort, est liée à la vie de la cité ; et la bénédiction nuptiale donnée par le prêtre n’égale pas en solennité le moment où les mariés, menés devant les consuls revêtus de leurs robes rouges bordées d’hermine, présentent leur offrande de fleurs et de branches de fruits. La vie publique de la commune, toute pénétrée cependant de l’esprit et des rites de la religion, est un grand facteur de laïcisation.
Cités de commerce, les villes méridionales étaient d’une opulence que celles du Nord pouvaient à juste titre leur envier : Paris ne pouvait se comparer à Toulouse, ni Troyes ou Rouen à Avignon. La magnificence des églises romanes du Midi que les siècles et les guerres ont épargnées peuvent nous aider à imaginer ce que devait être la beauté de ces villes de grand négoce, de grand artisanat, foyers de toutes les industries, de tous les arts, centres religieux et culturels de première importance. Les grandes villes possédaient des écoles de médecine, de philosophie, de mathématiques, d’astrologie ; non seulement Toulouse, mais Narbonne, Avignon, Montpellier, Béziers, étaient, avant la création nominale des universités, des villes universitaires. À Toulouse, la philosophie d’Aristote était enseignée d’après les récentes découverts des philosophes arabes, alors qu’elle était encore interdite à Paris par les autorités
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