Le bûcher de Montségur
Louis XIV qui regardait comme un honneur suprême le droit d’assister au lever du roi.
L’honneur, pour le gentilhomme méridional du XII e siècle, se traduisait par un certain mépris des biens de ce monde, uni à une exaltation démesurée de sa propre personnalité. Qu’est cette adoration de la Dame, de l’Amante merveilleuse et inaccessible, sinon le désir de proclamer que si l’on rend un culte, ce n’est pas à la divinité de tout le monde, mais à un objet choisi par le libre consentement de votre volonté ?
Des commentateurs sont allés jusqu’à prétendre que la Dame n’était que le symbole soit de l’Église cathare, soit de quelque révélation ésotérique, et il est vrai que les poèmes de certains troubadours ont des accents assez semblables à ceux des poètes mystiques arabes. Sans doute, il ne s’agit là que d’une réminiscence littéraire, car à l’époque personne n’a songé à prendre cette poésie pour autre chose qu’une poésie d’amour. Mais il n’en reste pas moins vrai que la poésie des troubadours semble avant tout chanter une méthode de perfectionnement moral et spirituel au moyen de l’amour, plutôt que l’amour même. Ces tourments, ces soupirs, ces longues attentes et ces morts par métaphore semblent à la fois passionnément sincères et un peu irréels. C’est sa propre beauté d’âme que le poète semble admirer à travers ses souffrances.
Cette société turbulente, égoïste, inquiète, à travers sa prodigalité extravagante (à ne citer que l’exemple de ce seigneur de Venous qui, par bravade, fait brûler vifs trente chevaux sous les yeux de ses invités), à travers son engouement pour les arts les plus inutiles en apparence et sa soif d’amours irréalisables, témoigne pour une certaine manière de vivre qui ne manque pas de noblesse. Sous une frivolité apparente se cache peut-être un désir de détachement, de refus de prendre au sérieux des choses qui n’en valent pas la peine. Le jour du danger venu et la première surprise passée, la noblesse occitane saura se battre et fera preuve d’un patriotisme intransigeant et parfois féroce ; sa faiblesse en tant que puissance politique n’est nullement le signe d’un manque de vitalité.
Ce que nous savons, en tout cas, c’est que cette noblesse était non seulement indulgente envers l’hérésie, mais qu’elle en a même été le soutien le plus sûr et le plus notoire. C’est parce que la religion nouvelle avait conquis la seule classe de la population qui pût défendre la cause de l’Église par les armes que la croisade avait été jugée nécessaire.
La terre occitane, pays catholique en principe et en fait, était tout naturellement, sans heurts, sans révolte réelle, devenue terre d’hérésie. La nouvelle doctrine y était si bien acclimatée qu’il était déjà impossible de distinguer le bon grain de l’ivraie, il fallait ou ne pas agir du tout, ou se résigner à frapper au hasard. Dans cette guerre impitoyable qui durera plus de dix ans, les hérétiques sembleront n’être plus qu’un prétexte, les chefs de la croisade viseront à l’écrasement du pays tout entier.
Mais la croisade, loin de détruire l’hérésie, lui redonnera des forces nouvelles, il faudra un siècle pour en venir à bout et on n’y parviendra qu’au prix de l’étouffement progressif des forces vives du pays.
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3 10 mars 1204.
4 Pierre des Vaux de Cernay, ch. III.
5 Guillaume de Puylaurens, ch. X.
6 Chanson de la Croisade , ch. VI, 131-134.
7 Lettre d’Innocent III à Philippe Auguste, 9 février 1209.
8 Pierre des Vaux de Cernay, ch. LXIV.
9 Pierre des Vaux de Cernay, ch. IV.
10 Lettre d’Innocent III à Raymond VI, 20 mai 1207.
11 Chanson de la Croisade , ch. VI, 131-134.
12 Lettre d’Innocent III à Raymond VI.
13 G. de P., ch. IX.
14 Lettres d’Étienne de Tournai, nouv. éd. par l’abbé Desilve, Valenciennes, Paris, 1893.
CHAPITRE II
L’HÉRÉSIE ET LES HÉRÉTIQUES
I – ORIGINES
L’existence des hérésies est inséparable de l’existence même de l’Église : là où il y a dogme, il y a hérésie ; et depuis les origines, l’histoire de l’Église chrétienne est une longue suite de luttes contre diverses hérésies, luttes aussi âpres et aussi sanglantes que celles qui opposèrent les communautés chrétiennes aux non-chrétiens. Mais à partir du VI e siècle, l’Europe occidentale, mal remise du choc des
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