Le bûcher de Montségur
se rapproche assez de la doctrine hindoue de la réincarnation et du karma. D’autres croient au contraire que chaque nouvelle naissance fait descendre, sinon du ciel du moins de la région intermédiaire entre le ciel et la terre, un de ces anges séduits par le Démon – d’où l’horreur bien connue des cathares pour la procréation, l’acte cruel entre tous qui attire par violence une âme céleste dans le monde de la matière. Quoi qu’il en soit, les cathares admettent généralement la doctrine de la métempsychose, telle que la professent les Hindous, avec la même rigueur mathématique des rétributions posthumes : l’homme qui mène une vie juste se réincarnera dans un corps plus apte à favoriser son progrès spirituel, le criminel, après sa mort, risque de renaître dans un corps chargé de tares et de vices héréditaires, ou même, dans les cas extrêmes, dans le corps d’un animal. Mais en dehors de ces perpétuelles et douloureuses renaissances, aucun espoir n’eût été permis aux âmes déchues, aucune possibilité de retrouver jamais leur vraie patrie, sans la descente d’un Messager du Dieu bon dans le monde de la matière.
Le Dieu bon est toute pureté et toute joie, mais s’il ignore le mal il sait que des âmes célestes sont séparées de lui et voudrait les ramener au ciel. Il ne peut rien faire pour les aider, un abîme les sépare de lui, il ne peut avoir aucun contact avec l’univers créé par le Prince du Mal, et il cherche parmi les êtres bienheureux qui l’entourent dans sa gloire un Médiateur qui pût rétablir le contact entre le ciel et les âmes déchues. Enfin Dieu envoie Jésus, qui est, selon les cathares, soit le plus parfait des anges, soit un des Fils de Dieu, le second, Satan ayant été le premier. Ce terme de Fils de Dieu n’implique pas l’égalité entre le Père et le Fils, Jésus est tout au plus une émanation, une Image de Dieu.
Jésus descend dans le monde impur de la matière, et ne répugne pas à ce contact immonde par pitié pour les âmes auxquelles il doit enseigner le chemin du retour dans leur patrie ; mais la pureté ne peut avoir de contact réel avec l’impureté, Jésus n’aura donc que l’apparence d’un corps, il ne s’« incarne » pas, il s’« adombre ». Il sera en quelque sorte une vision, s’il fait semblant de se soumettre aux lois terrestres, c’est pour mieux tromper la vigilance du Démon. Mais le Démon, ayant reconnu le Messager de Dieu, cherchera à le faire mourir, et les ennemis de Dieu, aveuglés par l’apparence, croiront que Jésus a réellement souffert et est mort sur la croix. En réalité, le corps non charnel de Jésus ne pouvait ni souffrir, ni mourir, ni ressusciter ; il ne subira aucun outrage, et, après avoir enseigné à ses disciples le chemin du salut, il remonte au ciel. Sa mission est terminée, il a laissé sur la terre une Église qui possède en elle l’Esprit Saint, le Consolateur des âmes exilées.
Mais le Démon, qui est le prince de ce monde, a su si bien égarer les hommes, il a si bien détruit l’œuvre de Jésus, qu’une fausse Église s’est substituée à la vraie et a pris le nom de « chrétienne » alors qu’elle est en réalité l’Église du Diable, et enseigne exactement le contraire de la doctrine de Jésus, L’Église chrétienne authentique, celle qui possède le Saint-Esprit, est l’Église cathare.
L’Église de Rome est donc la Bête, la prostituée de Babylone ; celui qui reste sous son obédience ne saurait être sauvé. Tout ce qui vient de cette Église est néfaste. Ses sacrements n’ont aucune valeur, bien plus, ce sont les pièges de Satan, car ils font croire aux hommes que des rites purement matériels, des gestes mécaniques peuvent apporter le salut. Ni l’eau du baptême ni le pain de l’hostie ne sauraient être des véhicules de l’Esprit, car ils sont matière impure. L’hostie ne peut être le corps du Christ, car, disent les prédicateurs cathares avec une ironie plutôt simpliste, si l’on réunissait toutes les hosties consacrées dans tous les pays depuis dix siècles, elles eussent formé un « corps » plus grand qu’une montagne.
La croix ne doit pas être un objet de vénération, bien au contraire : elle doit faire horreur, en tant qu’instrument de l’humiliation de Jésus ; quand une poutre tombe et écrase le fils de la maison, on ne la met pas à la place d’honneur pour l’adorer et l’encenser.
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