Le bûcher de Montségur
avec l’Église catholique ; 2°une partie de l’aspect extérieur de son organisation, de la vie et des mœurs de ses adhérents, de ses rites et de ses cérémonies. Et là nous nous trouvons à peu près dans la situation d’un homme étranger au christianisme à qui l’on décrirait la célébration de la messe sans lui en expliquer la signification spirituelle, émotionnelle et symbolique. Nous ne pouvons qu’y penser avec le respect dû à l’expression d’une profonde expérience mystique, et ne pas chercher à expliquer.
Les « erreurs » du catharisme sont nombreuses. Elles remontent à la tradition gnostique qui proclamait la séparation absolue de l’Esprit et de la matière. Manichéens, les cathares sont dualistes, et croient à l’existence de deux principes opposés, l’un bon et l’autre mauvais. Si certains théologiens cathares croient que les deux principes existaient dès le commencement, d’autres voient dans le principe mauvais une création secondaire, un ange déchu. Que l’origine du Mal soit placée dans le chaos, au-delà du temps, ou qu’elle soit le résultat du vouloir mauvais d’une des créatures d’un Dieu unique et bon, tous les cathares soutiennent que le Dieu bon n’est pas tout-puissant, que le Mal lui livre une guerre sans merci et lui dispute sans cesse une victoire que la consommation des temps finira tout de même par amener. Cette théorie n’était pas faite pour surprendre, à une époque où les hommes croyaient au Diable aussi fermement qu’à Dieu.
Ce qui, pour les chrétiens, est plus difficile à admettre, c’est l’assertion qui est comme la clef de voûte de tout l’enseignement cathare : le monde matériel n’a jamais été créé par Dieu ; il est tout entier l’œuvre de Satan. Sans entrer dans les détails de cosmogonies extrêmement compliquées qui expliquent la chute de Satan et des mauvais anges et la création de la matière, nous pouvons dire que pour les cathares le monde sensible (y compris même, pour la plupart des sectes, le soleil et les astres) était un monde diabolique et une manifestation du mal.
Et l’homme ? Il est, lui aussi, une création du Diable, en tant que créature de chair ; mais l’esprit du mal, incapable de créer de la vie, aurait demandé à Dieu de l’aider, et d’insuffler une âme dans un corps fait d’argile ; Dieu, par bonté, consent à venir en aide à ce créateur désespérément stérile, mais la parcelle d’Esprit divin insufflée dans la grossière enveloppe façonnée par Satan se refuse à y rester ; après maintes ruses, le Démon réussit tout de même à la retenir prisonnière. Nos premiers parents, Adam et Ève, auraient été poussés par le Démon à l’union charnelle qui consomma leur enlisement définitif dans la matière. Selon la doctrine de certaines écoles, l’Esprit insufflé par Dieu se transmet par l’acte de la procréation aux descendants d’Adam, et, tel une flamme, se multiplie et se subdivise à l’infini. Mais l’interprétation plus généralement acceptée est celle-ci : le Démon, Lucifer ou Lucibel, aurait soit entraîné dans sa chute, soit fait descendre du ciel à l’aide de toutes sortes de séductions, une foule d’âmes créées par Dieu et vivant près de lui dans la béatitude. C’est de cet inépuisable réservoir d’anges déchus et prisonniers que proviennent les âmes humaines, appelées à une déchéance plus terrible encore par le revêtement d’un corps de chair. (Dans la cosmogonie cathare, le monde matériel n’est que l’aspect le plus bas de la réalité, le plus irrémédiablement éloigné de Dieu ; il est toute une gradation d’autres mondes, où d’autres saluts sont possibles.)
Le Démon, n’est autre que le Dieu de l’Ancien Testament, Sabaoth ou Jaldabaoth, grossier imitateur du Dieu bon, créateur d’un univers misérable où malgré tous ses efforts il ne parvient à rien créer de durable : les âmes des anges que leur faiblesse a fait descendre dans la matière restent absolument étrangères à cet univers et y vivent dans une souffrance sans nom, séparées de l’Esprit qui était en elles avant leur chute.
Ici encore, il y a des divergences entre les diverses sectes cathares, car certaines prétendent que le nombre de ces âmes perdues est limité, et qu’elles ne font que transmigrer indéfiniment d’un corps dans un autre, par une succession ininterrompue de naissances et de morts, ce qui
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