Le bûcher de Montségur
(Argument qui semble prouver que les cathares attachaient tout de même plus d’importance qu’on ne croit à la crucifixion, car pourquoi la croix ferait-elle horreur si Jésus n’avait pas, d’une façon ou d’une autre, réellement souffert ?)
Si la croix est, par excellence, l’instrument du Diable, toutes les images, tous les objets que l’Église considère comme sacrés sont aussi l’œuvre du Malin, qui sous le nom de christianisme a instauré le règne du paganisme le plus abject : les images saintes sont autant d’idoles, les reliques encore bien moins que cela, des fragments d’os pourris, des bouts de bois ou de tissu ramassés n’importe où, et que d’habiles escrocs font passer pour des restes de corps bienheureux ou d’objets vénérés ; ceux qui s’inclinent devant de tels objets adorent la matière, qui est œuvre du Démon. Du reste, les saints ont tous été des pécheurs, puisqu’ils ont servi l’Église du Diable, ils sont englobés dans la même condamnation que les justes de l’Ancien Testament, créatures et serviteurs du Dieu mauvais.
La Vierge n’a pas été la Mère de Jésus, puisque Jésus n’a jamais eu de corps ; mais s’il a voulu, en apparence, naître d’elle, c’est qu’elle était, elle aussi, un être immatériel, un ange qui a pris les traits d’une femme. Elle n’est peut-être même qu’un symbole, le symbole de l’Église qui accueille en elle la parole de Dieu.
Ayant posé en principe la création du monde par l’esprit du mal, l’Église cathare ne pouvait que condamner d’emblée toutes les manifestations de la vie terrestre : tout ce qui n’est pas pur esprit est voué à la destruction totale et ne mérite ni amour ni respect. Si l’Église était la forme la plus visible du mal sur la terre, le pouvoir séculier était presque aussi coupable, puisqu’il fondait sa puissance sur la contrainte et souvent sur le meurtre (guerre et justice pénale). La famille est condamnable en tant que source d’attachements terrestres, et le mariage est de plus un crime contre l’Esprit, car il enlise l’homme dans la vie de la chair et risque de causer la perdition de nouvelles âmes en les précipitant dans la matière. Tout meurtre, fût-ce celui d’un animal, est un crime : celui qui tue enlève à une âme la chance de se réconcilier avec l’Esprit, et interrompt indûment le cours de sa pénitence : même logée dans le corps d’une bête, une âme a droit à des égards infinis car il lui reste peut-être une chance imprévisible de renaître dans une condition meilleure. Il ne faut donc jamais porter d’armes, pour ne pas risquer de tuer, même pour se défendre ; il ne faut pas non plus manger de nourriture d’origine animale : celle-ci est essentiellement impure ; même les laitages et les œufs, comme tout ce qui provient de la procréation, sont à éviter. Il ne faut jamais mentir, ni prononcer de serment ; il ne faut pas posséder de biens terrestres. Mais même celui qui remplirait toutes ces conditions n’est pas sauvé pour autant : on ne peut être sauvé, c’est-à-dire réconcilié avec l’Esprit Saint, qu’en entrant dans l’Église cathare et en recevant l’imposition des mains d’un de ses ministres : là seulement l’homme renaît à nouveau, et peut espérer, après sa mort, entrer dans la béatitude divine, à moins que de nouveaux péchés ne le fassent tomber de nouveau dans les lacs du Démon.
Il n’y a pas d’enfer, puisque l’enfer n’est autre chose que la réincarnation dans un corps nouveau ; mais une longue série d’existences mauvaises peut finir par ôter à une âme toute possibilité de salut. Il est aussi des âmes créées par le Démon, ce qui fait que certains êtres ne peuvent être sauvés ; il est difficile de les distinguer des autres, mais on présume que les rois, empereurs, chefs de l’Église catholique font partie de ces hommes prédestinés à la damnation. Toutes les autres âmes doivent être sauvées et le supplice des réincarnations terrestres durera tant que toutes les âmes célestes n’auront pas trouvé la voie du salut. À la fin, le monde sensible disparaîtra, le soleil et les étoiles s’éteindront, le feu dévorera les eaux et les eaux éteindront le feu. Les âmes des démons périront dans le brasier et il n’y aura plus que joie éternelle en Dieu.
Ce résumé de la doctrine cathare tendrait à montrer que cette religion se séparait du
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