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Le bûcher de Montségur

Le bûcher de Montségur

Titel: Le bûcher de Montségur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Zoé Oldenbourg
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christianisme traditionnel sur tant de points que l’on pourrait se demander comment des populations catholiques aient pu si facilement abandonner la foi de leurs pères pour une hérésie aussi manifeste.
    Ici, deux remarques s’imposent : d’abord, le peuple, étant donné la carence de l’Église – dénoncée par les papes eux-mêmes – était souvent fort ignorant en matière d’orthodoxie religieuse. Ensuite, et c’est là un point sur lequel nous devons insister, les adversaires de la religion cathare avaient intérêt à souligner ses erreurs, et à leur accorder une importance qu’elles n’avaient peut-être pas aux yeux des cathares eux-mêmes, si bien que, sur beaucoup de points, il a pu s’agir de différences d’interprétation et d’expression plutôt que de véritables hérésies.
    Il ne faut pas négliger le côté hétérodoxe de la religion cathare ; mais il faut essayer de le remettre à sa vraie place. En examinant les faits, nous voyons que les erreurs les plus choquantes aux yeux des catholiques sont justement celles qui semblent découler logiquement de la doctrine orthodoxe de l’époque. C’est pourquoi elles étaient jugées si dangereuses.
    En effet : le dualisme des cathares, que leurs ennemis ont exagéré à plaisir, n’était que le développement naturel de la croyance au Diable, dont l’importance était immense au moyen âge. Un manichéisme latent a toujours existé dans l’enseignement de l’Église. Le Diable est une réalité concrète, sa puissance est à tout moment attestée par les prédicateurs catholiques, qui ne manquent jamais de condamner comme œuvres du Diable toutes les manifestations de l’esprit profane, parfois les plus pures, telles la musique ou la danse. L’Église (du moins dans ses représentants les plus autorisés) était allée si loin dans ce sens que l’on ne voit pas ce que les cathares pouvaient encore y ajouter. La civilisation du moyen âge, civilisation de moines à son origine, n’avait que dégoût et mépris pour la matière ; si elle ne la disait pas œuvre du Diable, elle agissait exactement comme si elle la croyait telle. Quand a-t-on vu, avant saint François d’Assise, un saint catholique chanter la beauté de la nature créée par Dieu ? Quand voit-on les prêtres glorifier le mariage, s’extasier sur de petits enfants, vanter les joies terrestres ? La plupart des fêtes et des coutumes religieuses où l’amour de la vie terrestre semble tenir une grande place sont des survivances, soit du paganisme, soit de la tradition hébraïque ; l’apport purement chrétien à l’amour de la création est faible et purement théorique.
    Telle n’est sans doute pas l’attitude de l’Église tout entière, mais celle de ses membres les plus purs, les plus vénérés, tel saint Bernard qui s’insurge non seulement contre la frivolité de la vie laïque, mais aussi contre la trop riche ornementation des églises : la beauté qui séduit les yeux ne sert qu’à détourner l’esprit de la méditation. À une époque où le besoin d’incarner, de matérialiser le sacré semble avoir été plus grand qu’à aucune autre, et où des villes et des régions entières se ruinaient pour édifier à la Vierge ou au saint local une maison à côté de laquelle les palais de rois étaient de pauvres masures, à cette époque même, tout catholique sincère estimait que le monde est irrémédiablement corrompu et qu’il n’y a d’autre voie de salut que le cloître. Entre un univers créé par le Diable et seulement toléré par Dieu, et un univers créé par Dieu mais entièrement corrompu, et dénaturé par le Diable, la différence n’est pas grande, du moins dans la pratique.
    Les cathares condamnaient le mariage et la chair (à tel point qu’ils s’abstenaient de tout aliment provenant de la procréation). Nous allons voir que cette condamnation n’était pas absolue. Mais l’Église catholique elle-même avait à l’égard du mariage une attitude à peu près semblable : le mariage est interdit au prêtre, comme il l’est aux ministres cathares ; il n’est toléré chez les fidèles que comme moyen de propagation de l’espèce et remède contre la concupiscence. Bien plus, à l’égard de la femme, l’attitude de l’Église catholique est bien plus dure que celles des cathares : quand on voit saint Pierre Damien vitupérer contre les concubines de clercs en les traitant d’« amorces de Satan, poison

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