Le bûcher de Montségur
prétexte d’attaquer sans remords les biens de l’Église, par le goût des uns et des autres pour la nouveauté. Nous avons vu que le terrain était favorable à l’éclosion d’une religion nouvelle. Mais un terrain favorable n’explique pas grand-chose. Les raisons du succès extraordinaire de cette religion doivent être cherchées dans cette religion elle-même.
II – DOGME
Il ne s’agit pas ici d’examiner en détail les dogmes et la pensée de l’Église cathare ; d’abord parce que même le peu de renseignements que nous possédons sur cette Église fournirait la matière de plusieurs volumes ; ensuite, ces renseignements par eux-mêmes ne nous apprennent pas ce qu’était réellement cette religion disparue. Autant chercher à retrouver, d’après la forme des os d’un crâne, les traits d’un visage vivant. Quelques indications sommaires sont possibles et beaucoup de suppositions. Cette religion morte de mort violente a été, de plus, dénigrée, diffamée, discréditée d’une façon si systématique qu’à ceux-là mêmes qui n’avaient pas de préjugé défavorable à son égard, elle a fini par apparaître comme quelque chose d’un peu contraire au bon sens. C’est le cas de toutes les religions mortes et, d’ailleurs, la foi catholique des hommes du moyen âge nous est parfois tout aussi étrangère que celle des cathares.
Nous pouvons essayer, après un bref aperçu des dogmes essentiels, de tirer quelques conclusions de faits concrets parvenus jusqu’à nous et tâcher de nous faire une idée, si vague soit-elle, du climat spirituel où cette religion a pu se développer et mûrir.
Une question se pose tout d’abord : le catharisme comportait-il un enseignement ésotérique ? Certaines indications, entre autres l’existence du château de Montségur et sa construction très particulière, le donneraient à penser. Mais si cette religion avait ses mystères et ses rites secrets, ils sont demeurés si bien cachés que même des parfaits convertis et passés dans les rangs de l’Inquisition, tel Raynier Sacchoni, n’en ont jamais soufflé mot. Certains points de la doctrine cathare, en particulier ce qui concerne leurs jeûnes et leurs fêtes, sont restés obscurs, pour la bonne raison que les inquisiteurs n’ont pas songé à interroger les hérétiques sur ce sujet. D’une littérature cathare abondante et variée ne subsistent plus que quelques documents échappés par hasard à la destruction 16 et dont nous ne savons pas s’ils étaient des ouvrages importants et s’ils reflétaient fidèlement l’esprit de toute l’Église cathare. De plus, comme toute Église, cette Église-là comptait en son sein de nombreuses « hérésies » ou tendances divergentes ; sans doute eut-elle aussi des sectes plus particulièrement ésotériques qui ont pu rester ignorées de la majorité des croyants.
Ce qui est certain, c’est que les cathares étaient de grands prédicateurs, et qu’ils ne faisaient nul mystère de leurs croyances. On les voit à plusieurs reprises soutenir des débats théologiques, prendre part à des réunions où leurs docteurs tiennent tête aux légats et aux évêques ; et ces discussions publiques – du colloque de Lombers en 1176 à la campagne d’évangélisation menée de 1206 à 1208 par saint Dominique et ses compagnons – montrent que les cathares du Languedoc, en hommes de leur temps et de leur pays, étaient de grands orateurs, des raisonneurs passionnés et qu’ils ne cherchaient nullement à se retrancher derrière le prestige de mystères inaccessibles au profane. Bien au contraire, ils prétendaient fonder leur doctrine sur le bon sens, et reprochaient à l’Église catholique ses mystères qu’ils taxaient de superstition et de magie.
Mais il est également vrai que nous ne connaissons de cette doctrine que ce qui s’oppose aux enseignements de l’Église, c’est-à-dire, en quelque sorte, sa partie négative. (On peut dire aussi qu’étant donné le fait que le catharisme était en désaccord avec l’Église à peu près sur tout, le seul énoncé de ces oppositions peut donner une idée assez complète de sa position doctrinale. Ce n’est pas sûr : il est même plus que probable que toute la partie positive de cet enseignement nous échappe ; et c’est elle, pourtant, qui a dû être la cause de son succès.)
Nous connaissons donc de cette religion : 1°ses « erreurs », c’est-à-dire ses divergences
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