Le bûcher de Montségur
Languedoc n’avait envoyé aucun message, aucune députation, et le comte avec ses troupes, très inférieures en nombre à celle du roi, talonne l’armée royale, lui livre une guerre d’embuscades et d’escarmouches, tombant sur les traînards et les éclaireurs ; et ces mêmes seigneurs qui, quelques mois plus tôt, avaient fait envoyer au roi des lettres où ils le saluaient comme un sauveur, « arrosant ses pieds de larmes et avec des prières larmoyantes » (lettre de Sicard de Puylaurens), loin de lui prêter hommage, se retirent dans les montagnes et se préparent à la défense.
Le roi rétablit dans leurs fiefs les anciens compagnons de Montfort, et Guy de Montfort, auquel il donne (ou rend) Castres ; laisse des sénéchaux dans toutes les villes qu’il a occupées ; et, des Pyrénées au Quercy, du Rhône à la Garonne, reçoit les clefs des villes soumises d’avance, et traîne une armée démoralisée, décimée par les maladies, mais tirant sa force de l’immense détresse d’un pays épuisé par quinze ans de guerre. En octobre 1226, l’armée royale n’avait ni la force ni l’envie d’entreprendre le siège de Toulouse : les chroniqueurs du temps sont unanimes à constater son découragement, sa fatigue, ses pertes nombreuses tant par la maladie que par la guerre ; le roi, malade lui-même, mourra en route quelques jours après avoir quitté le Languedoc.
Si chaque ville avait résisté comme l’avait fait Avignon, la croisade royale eût tourné au désastre total. Mais le roi et le légat avaient bien calculé leur coup : ils attaquaient un blessé à peine convalescent et encore incapable de se tenir debout ; Avignon n’avait pas souffert de la guerre au temps de Simon de Montfort. Encore les demi-vainqueurs se retiraient-ils épuisés eux-mêmes, la force de la résistance passive du pays étant encore assez grande pour rendre la campagne pénible et semée d’embûches. Le retour des croisés qui ramèneront, cousu dans une peau de bœuf, le cadavre du pieux roi, n’aura rien d’un retour triomphal.
Mort à trente-sept ans, Louis VIII laissait le trône à un enfant de onze ans, et la régence à une veuve obligée de faire face à la révolte des grands vassaux. Pour le malheur du Languedoc, cette veuve se trouvait être Blanche de Castille, femme douée de plus d’énergie et d’ambition que n’en eurent jamais son mari ni son fils. Si les Méridionaux ont pu se réjouir de la mort de Louis, ils allaient vite comprendre qu’ils étaient tombés de Charybde en Scylla ; et les troubadours, plus tard, regretteront le « bon roi Louis 134 ».
L’armée, que le roi a laissée en Languedoc pour garder les territoires conquis, est plus importante que celle dont disposait Simon de Montfort en septembre 1209. Sa situation est moins précaire : lieutenant du roi, le sénéchal Humbert de Beaujeu ne dépend pas du bon plaisir des croisés de passage ; le roi de France est tenu de lui envoyer des secours. Cependant, dès l’hiver 1226-1227, les comtes de Toulouse et de Foix reprennent Auterive, La Bessède et Limoux ; la noblesse méridionale se regroupe, le peuple se soulève contre les Français ; Humbert de Beaujeu demande des renforts de France, car, s’il est solidement établi à Carcassonne (qui, ayant pendant quinze ans servi de quartier général aux Montfort, était tout naturellement devenue celui de l’armée royale), les villes et les châteaux environnants sont revenus à leurs anciens seigneurs.
La régente, aux prises avec la coalition des grands vassaux – les comtes de La Marche, de Champagne, de Boulogne, de Bretagne –, a besoin d’argent, et songe à utiliser pour sa guerre féodale le décime accordé par l’Église pour la croisade en Albigeois ; les prélats refusent de payer, malgré la colère du légat, Romain de Saint-Ange, qui prend ici parti pour la reine contre l’Église. Et, comme les évêques en appellent au pape, Blanche de Castille n’obtient l’argent qu’en envoyant des renforts à Humbert de Beaujeu. Et si, par des promesses ou des menaces, elle parvient à triompher rapidement de la ligue des vassaux, l’affaire du Languedoc est pour elle une source de graves difficultés ; cette province dont son mari avait commencé la conquête, et que la couronne de France ne pouvait plus lâcher sans perdre la face, ne semblait pouvoir être réduite que par des expéditions armées importantes, renouvelées chaque
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