Le bûcher de Montségur
Puylaurens, ch. XXXIV.
134 Cf. Dom Vaissette, op. cit. Le chap. 65 du 1. XXIII : Poètes provençaux, dans le t. VI de l’éd. 1879. p. 556-559.
135 Guillaume de Puylaurens, ch. XXXVIII.
136 Guillaume de Puylaurens, ch. XXXIX.
CHAPITRE VIII
DERNIÈRES ANNÉES DE L’INDÉPENDANCE OCCITANE
I – CONSÉQUENCES DE LA GUERRE
Avant d’examiner les causes et les conséquences de ce désastreux traité, il faudrait essayer de comprendre ce que fut la vie du Languedoc dans ces années troublées, mais riches d’espérance qui suivirent la mort de Simon de Montfort.
Les cors et les trompes, les carillons et les cloches qui saluèrent à Toulouse la mort du conquérant retentirent dans des dizaines de villes, des centaines de châteaux qui, repris par les comtes, reconquis par leurs anciens propriétaires, saluaient leur liberté retrouvée.
Le poète de la Chanson , qui arrête brutalement son récit au milieu des préparatifs du siège de Toulouse par le prince Louis, ne nous raconte pas l’épopée de ces années tragiques au cours desquelles le Midi ne sembla relever la tête que pour être mieux abattu. Mais il est le seul à nous avoir donné une image de ce que put être cette atmosphère de joie fiévreuse, de ferveur, de haine, d’angoisse et d’espoir dans laquelle les populations du Languedoc ont vécu les heures de leur incertaine libération.
Lui seul nous montre Toulouse se préparant à repousser Montfort et travaillant aux barricades tandis qu’à la lueur des flambeaux et des torches, tambours, timbres et clairons résonnent dans les rues et sur les remparts, et les filles et les femmes dansent sur les places en chantant des ballades. Le poète traduit et partage la tendresse exaltée du peuple pour ses comtes, le vieux et le jeune, et montre le peuple baisant à genoux les vêtements de Raymond VI et pleurant de joie, pour courir ensuite se saisir d’armes improvisées et se précipiter à la chasse aux Français, traqués dans les rues et égorgés. Il décrit l’acharnement terrible et presque joyeux des combats, et l’incessant flux et reflux de soldats triomphants ou repoussés, sur les remparts et les ponts, dans les fossés et dans les faubourgs. Il montre le saisissant tableau des armures brillantes, des heaumes et écus peints, vernis, étincelants au soleil, mêlés, au milieu du fracas des armes, à des pieds, des bras, des jambes coupés, des cervelles éclatées, jonchant le sol dans des ruisseaux de sang.
Témoin de ces jours terribles, il éprouve à les décrire une joie et un orgueil qui sont ceux d’un peuple tout entier, et il serait difficile de nier l’authenticité de ce témoignage, qui n’est partial que pour être trop véridique, et qui montre ce qu’est la liberté pour un peuple menacé de la perdre. Les premières années après la mort de Simon de Montfort, le pays dut vivre les mêmes heures, dans la même ivresse, dans le sang, la misère, les incendies et les feux de joie, les fêtes et les règlements de comptes.
Si les chefs du pays savaient quel danger représentaient encore les prétentions du roi et les anathèmes de l’Église, le peuple, débarrassé de ses oppresseurs, put croire que les mauvais jours étaient passés. Mais les comtes et les seigneurs légitimes rétablis dans leurs droits n’apportaient avec eux que « parage et honneur », et rien d’autre. La Provence et l’Aragon leur avaient fourni des renforts considérables en armes et en hommes, mais c’était encore le peuple du Languedoc qui avait eu à supporter les plus gros frais de la guerre.
Les bourgeois de Toulouse avaient donné sans compter de leurs biens et payé de leurs personnes, avec l’idée qu’il vaut mieux mourir que vivre dans la honte. Mais, après avoir triomphé de Montfort et du prince Louis, la capitale, une des premières villes d’Europe, se retrouvait avec ses maisons en ruines, ses coffres vides, son commerce ruiné, sa population mâle décimée – ce n’était pas pour rien que le pierrier qui lança le boulet qui tua Simon de Montfort était manié par des femmes. Une grande partie des milices toulousaines avait péri à Muret ; nous ne savons quel fut le nombre des bourgeois tués dans les combats des rues lors de la révolte de Toulouse, mais il dut être grand puisque la chevalerie croisée avait lutté pendant deux jours contre un peuple mal armé dans une ville non fortifiée. Pendant les huit mois de siège, les milices qui
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