Le bûcher de Montségur
année ; avec la menace permanente que constituait l’Angleterre, la reine ne pouvait se permettre d’immobiliser ses forces dans le Midi. Et le pape la pressait sans cesse de reprendre la guerre sainte contre l’hérésie.
Blanche de Castille ne songe pas à profiter de son état de femme et de veuve pour se dérober à ses responsabilités : malgré les menaces qui pèsent sur elle dans le Nord, elle parvient à entretenir dans le Languedoc des troupes suffisantes pour harceler et affaiblir l’adversaire, sinon pour l’écraser. Avec les renforts envoyés au printemps 1227, Humbert de Beaujeu reprendra le château de La Bessède, dont il fera massacrer la garnison, et ravagera les campagnes dans la région du Tarn. L’année suivante, il avancera dans le comté de Foix (où Guy de Montfort sera tué devant Varilles) et, s’il perdra Castelsarrasin, il reprendra le château de Montech. Puis, avec de nouveaux renforts amenés par les archevêques d’Auch, de Narbonne, de Bordeaux et de Bourges, il marchera sur Toulouse, toujours imprenable. Le plan des Français n’est plus de remporter des victoires militaires, mais de ruiner le pays afin de le rendre peu à peu incapable de se défendre.
C’est ce que montre d’une façon très explicite Guillaume de Puylaurens, en décrivant les ravages que fait l’armé d’Humbert de Beaujeu devant Toulouse : conduits et animés par Foulques (l’évêque transfuge qui, ne pouvant rentrer dans sa ville, est rempli de sainte colère contre ses diocésains), les croisés se livrent à une destruction systématique des environs de la ville. En été 1227, les Français installent leur camp à l’est de Toulouse, et de là, jour après jour, ils organisent des expéditions contre les vignobles, les champs de blé, les vergers et, se transformant en cultivateurs à rebours, fauchent les champs, arrachent les vignes, démolissent les fermes et les maisons fortifiées.
«… Dès l’aurore, dit l’historien, les croisés entendaient la messe, déjeunaient sobrement et se mettaient en marche, précédés d’une avant-garde d’archers… Ils commençaient le dégât par les vignes les plus rapprochées de la ville, à l’heure où les habitants étaient à peine éveillés ; ils se retiraient ensuite dans la direction du camp, suivis pas à pas par les troupes de bataille, tout en continuant leur œuvre de destruction. Ils agirent de même chaque jour, pendant trois mois environ, jusqu’à ce que la dévastation fût à peu près complète 135 . »
L’historien, grand admirateur de Foulques, ajoute : « Je me souviens que le pieux évêque disait, en voyant revenir ces ravageurs qui semblaient des gens en fuite : “C’est en fuyant ainsi que nous triomphons de ‘nos ennemis d’une merveilleuse manière’. En effet, on invitait de cette façon les Toulousains à se convertir et à s’humilier, en leur enlevant ce qui faisait leur orgueil. C’est ainsi qu’à l’égard d’un malade on agit sagement en éloignant de sa main ce qui pourrait lui nuire s’il en prenait trop. Le pieux évêque agissait comme un père qui ne châtie ses enfants que par affection.”
Remarque assez cynique, si l’on pense que ce qui faisait l’“orgueil” des Toulousains, et ce dont ils risquaient de “prendre trop”, était tout bonnement leur pain quotidien.
Le comte, occupé par la guerre, désireux de reconquérir sur les Français les places fortes et les points stratégiques, ne disposait pas de forces suffisantes pour s’opposer à cette dévastation de ses domaines. Ce ne sont pas des troupes de vagabonds, mais une armée puissante et bien organisée qui se livre avec méthode à cette guerre sans combat où les adversaires sont les blés, les ceps de vigne et le bétail.
Et cependant, la lutte a retrouvé son âpreté de naguère et, en réponse au massacre de la garnison de La Bessède, les comtes mutilent atrocement les prisonniers (non chevaliers) capturés dans une bataille près de Montech et les lâchent dans la forêt, yeux crevés et mains coupées. Humbert de Beaujeu et les croisés et évêques qui l’accompagnent savent donc que le pays ne se soumettra jamais de bon gré à l’autorité royale ; et ces terres ne comprendront “leur véritable intérêt”, comme dit Guillaume de Puylaurens, que le jour où leur peuple cessera d’exister en tant que nation.
Le jour approche où le comte de Toulouse commencera à comprendre la
Weitere Kostenlose Bücher