Le bûcher de Montségur
nécessité d’un répit, fût-ce au prix d’une capitulation. D’un répit qui pût permettre au pays de panser ses blessures et de préparer sa revanche. Mais si, en consentant à des pourparlers en vue d’un traité de paix avec le roi, Raymond VII espérait procurer à son peuple une chance de retrouver pour quelque temps le repos et un minimum de prospérité, il sous-estimait l’intelligence et surtout le manque de scrupule de ses adversaires. La paix qu’il allait signer devait se révéler plus cruelle qu’une guerre ; et sans avoir été vraiment vaincu, il allait se voir imposer des conditions qu’aucun monarque n’imposa jamais à son ennemi, même après la plus écrasante des victoires.
Si la lecture des clauses de ce traité nous stupéfie encore et si nous sommes tentés d’en chercher l’explication dans la rudesse des mœurs de l’époque, nous ne devons pas oublier que les contemporains en ont également été stupéfaits, et que ce triomphe non déguisé de la cause du plus fort était absolument contraire aux lois féodales. On peut se demander par quel étrange malentendu le comte, qui semble n’avoir manqué ni de bon sens ni de courage, a pu signer ce traité ; il faut chercher l’explication de ce fait dans l’extrême misère où le peuple était réduit par la guerre.
La croisade royale n’avait fait qu’exaspérer la haine, et que pouvait-on attendre de bon d’un suzerain qui mettait tout son effort à ravager les terres et à déraciner les arbres ? En 1229, le comte résiste encore, mais ses plus fidèles vassaux, tels les frères de Termes et Centulle d’Astarac, déposent les armes par crainte de voir leurs domaines subir le sort des environs de Toulouse. La capitale est menacée de famine. Les défaites infligées à des soldats ennemis, qui ne se battent pas sur leur propre sol et sont libres de retourner chez eux quand ils le veulent, paraissent dérisoires à côté des ravages que les combats font subir au pays depuis vingt ans.
Les Français ont perdu, en trois ans, le roi, l’archevêque de Reims, le comte de Namur, le comte de Saint-Pol, Bouchard de Marly, Guy de Montfort, pour ne compter que les chefs. Les pertes en hommes d’armes sont évaluées à vingt mille rien que pour la campagne de 1226, et bien que les historiens du temps n’aient pas pu dresser de statistiques exactes et aient sans doute exagéré les chiffres, il semble bien que les pertes de l’armée française aient été très lourdes. Et la reine et le légat (dont l’énergie ne pouvait cependant pas être mise en doute) se voyaient reprocher par le pape leur lenteur à sévir contre l’hérésie.
Le pape Grégoire IX, élu à la place d’Honorius III mort en 1227, n’est autre qu’Ugolin, cardinal-archevêque d’Ostie, grand ami de saint Dominique ; ce vieillard, parent d’Innocent III, était doué d’un tempérament plus intransigeant et plus dominateur encore que celui de son cousin et prédécesseur. Et la régente, quelles que fussent son ambition politique et son zèle pour la foi, devait sans doute ressentir de l’amertume devant les exigences et les menaces dont l’accablait ce pape au moment où elle avait déjà tant de peine à faire respecter en France les droits de son fils mineur.
Bref, ce fut du côté français que vinrent les propositions de paix adressées à Raymond VII, par l’intermédiaire d’Élie Guérin, abbé de Grandselve. Les hérétiques, bien entendu, allaient faire les frais de cette paix, et là-dessus ni le comte ni ses amis ne pouvaient se faire d’illusions. Mais ils ne prévoyaient pas un traité de paix qui serait une annexion pure et simple de leur pays, un traité dont chacune des clauses à elle seule, constate Guillaume de Puylaurens, étonné, eût suffi pour la rançon du comte s’il avait été fait prisonnier. Cet ecclésiastique raisonnait encore en féodal, et jugeait selon des notions de droit que les tendances totalitaires des grandes monarchies et de l’Église allaient rendre de plus en plus fragiles. “C’est à Dieu et non aux hommes qu’il faut attribuer ce traité 136 », conclut le chroniqueur, avec plus de mélancolie sans doute qu’il ne veut l’avouer.
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129 Op. cit ., ch. CCXII, 9306-9321.
130 Guillaume Le Breton, Bouquet , XVII, 11 d.
131 Évêque de Toulouse qui protégea la ville contre les Vandales au V e siècle.
132 Guillaume de Puylaurens, ch. XXXIII.
133 Guillaume de
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