Le bûcher de Montségur
la garnison et traita avec respect la veuve du bandit Foucaut de Berzy ; lorsque Guy, le fils de Montfort, mourut prisonnier, le comte renvoya le corps à Amaury avec les honneurs militaires. Mais ni le peuple, ni les chevaliers faidits , ni même le comte de Foix n’avaient de ces scrupules, la croisade avait allumé dans le pays une haine implacable des Français, et une haine qui n’était pas près de s’éteindre.
Si la chevalerie occitane avait payé un lourd tribut à la guerre, ses pertes, comme nous l’avons vu, n’étaient rien à côté de celles des combattants à pied, bourgeois ou soldats de profession (sans parler des routiers dont la mort n’était un malheur pour personne, mais qui étaient un puissant instrument de combat), et de celles de la population civile. Car aux vingt mille (ou plus) civils massacrés à Béziers, aux cinq ou six mille de Marmande, il faut ajouter les innombrables victimes des hasards des sièges et des razzias ; les armées, dont les routiers faisaient toujours partie, et dont les éléments réguliers étaient eux-mêmes composés de professionnels de la guerre et de fortes têtes, n’étaient jamais tendres pour les civils. La haine et le mépris du soldat pour le civil, qui s’étaient donné libre cours lors des grands massacres, ont dû se manifester dans mainte autre occasion ; haïs, traqués, risquant leur vie dans chaque ruelle déserte, dans chaque sente isolée, les soldats croisés ne pouvaient guère se conduire en protecteurs de la veuve et de l’orphelin.
Si Napoléon Peyrat exagère à coup sûr lorsqu’il parle d’un million d’Occitans tués au cours des quinze années de guerre, il est certain que le pays avait dû subir des pertes en vies humaines dont aucune chronique ni aucun document ne rendent compte, et très supérieures aux chiffres qui ressortent du seul examen des textes. À cette époque où il n’y avait ni recensement régulier ni statistiques. Si les morts des chevaliers sont signalées, les foules de morts anonymes n’apparaissent çà et là que sous forme de cervelles jaillies ou de poumons arrachés traînant dans la boue. Les petites gens, même dans le malheur, n’ont pas d’histoire.
Ses villes appauvries, son commerce ruiné, sa population décimée, le Languedoc libéré était, de plus, menacé par le fléau permanent du moyen âge : la famine. Ses terres, fertiles dans le Toulousain et l’Albigeois, pauvres dans les régions montagneuses, avaient été, des années durant, ravagées avec moins de méthode sans doute que lors de la campagne d’Humbert de Beaujeu en 1228, mais avec autant d’acharnement. Simon de Montfort avait, de 1211 à 1217, ravagé chaque année les vallées de l’Ariégeois espérant ainsi réduire le comte de Foix, et l’on se demande de quoi pouvaient avoir vécu, ces années-là, ces régions déjà pauvres. Dans le Toulousain, dans le Carcassès des vignes furent arrachées, des récoltes brûlées à plusieurs reprises ; et l’on peut se rendre compte de ce que représentaient les vignes pour la population semi-bourgeoise, semi-agricole du Midi quand on voit les habitants de Moissac capituler en 1212 « parce que le temps des vendanges était venu ». Les vignes peuvent être replantées et les blés repoussent, mais tant d’hommes avaient été tués, ou lancés par la misère sur les routes, devenus mendiants, voleurs des grands chemins ou soldats vagabonds ; tant d’autres, épuisés par la faim et les maladies, ne pouvaient fournir le travail nécessaire pour une revalorisation des terres saccagées ; il y eût fallu des années. Et, même au paysan le plus attaché à sa terre, la menace permanente d’une armée ennemie fait tomber la cognée des mains, de découragement.
Sans doute, si omniprésent qu’ait été Simon de Montfort, tous les champs et tous les vignobles du Languedoc n’avaient-ils pas été touchés par la guerre, et les peuples du Midi étaient, depuis des siècles, habitués à des désastres de ce genre, quoique à une moins vaste échelle. Il n’en reste pas moins vrai que la dévastation de la campagne toulousaine semble avoir produit le même effet de terreur que le sac d’une grande ville.
Cependant, si l’on se reporte encore une fois à l’auteur de la Chanson , la politique des chefs était plutôt orientée vers les dépenses que vers l’économie. Dès le début de la reconquête, les Avignonnais disent à Raymond VI : « Ne
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