Le bûcher de Montségur
chapitre de l’orthodoxie, était moins fortement organisée, menacée à la fois par l’Islam à l’Orient, par Rome à l’Occident, et était même dans un sens plus proche en esprit du manichéisme que ne l’était l’Église catholique). Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que l’hérésie ait rencontré un terrain particulièrement favorable dans ces pays à peine christianisés et soumis à tant d’influences diverses et rivales.
Ce qui paraît plus extraordinaire, c’est que l’Italie, patrie des papes et catholique de longue date, ait si longtemps été un pays aussi hérétique que l’était le Languedoc. Il y avait des communautés cathares à Rome même et, au XII e siècle, on signale de puissantes colonies hérétiques à Milan, à Florence, à Vérone, à Orvieto, à Ferrare, à Modène et jusqu’en Calabre.
Pendant qu’une croisade dirigée contre les hérétiques plongeait dans la désolation le Midi de la France, les cathares d’Italie jouissaient d’une liberté presque officielle et formaient dans les villes des clans puissants qui parvenaient parfois à chasser les évêques et les seigneurs catholiques.
La Lombardie était tout particulièrement gagnée à l’hérésie ; terre d’Empire où partisans du pape et de l’empereur s’affrontaient sans cesse dans des luttes sanglantes, ménagée à la fois par les deux grandes puissances dont elle dépendait et menacée par les deux, la Lombardie était un pays où les grandes cités commerciales étaient autant de républiques indépendantes et, en tout cas, jalouses de leur liberté. Plus que pour aucun autre pays chrétien, l’Église représentait pour les Lombards une puissance politique et, plus tard, les luttes entre Guelfes et Gibelins montreront qu’en Italie les passions religieuses cédaient le pas, et de beaucoup, aux passions politiques. C’est cet aspect de luttes pour l’indépendance nationale et l’émancipation sociale que prenaient les mouvements cathares d’Italie. Les évêques, féodaux puissants toujours prêts à défendre leurs privilèges par les armes, se heurtaient dans les villes à une résistance opiniâtre dont le zèle religieux n’était souvent que le prétexte. Et les catholiques se battaient moins pour leur foi que pour les intérêts de leur clan ou de leur parti politique.
C’est – assez paradoxalement – cet état de guerre civile permanente qui préserva, pendant longtemps, en Italie un climat de relative tolérance religieuse. Tant que les catholiques du pays prenaient eux-mêmes les armes pour combattre leurs compatriotes hérétiques, il existait un certain équilibre des forces qui obligeait les uns et les autres à certains ménagements ; et le pape, qui tenait à garder son emprise sur la Lombardie, ne pouvait faire appel à l’empereur pour une croisade dont ce dernier n’eût que trop bien tiré profit. Si bien qu’en 1236, au moment où l’Inquisition à ses débuts déployait dans tous les pays catholiques une énergie allant jusqu’à l’excès, l’empereur pouvait accuser le pape de favoriser l’hérésie et de s’être laissé corrompre par l’or des hérétiques lombards. Le fanatique Grégoire IX ne pouvait pas être suspecté de vénalité ; mais les cathares d’Italie, également hais par le pape et par l’empereur, durent à la rivalité politique qui séparait ces deux grands personnages leur relative sécurité.
L’Église était impopulaire en Italie, où le clergé était exceptionnellement combatif et même belliqueux et se mêlait avec ardeur aux guerres civiles ; les prélats étaient avant tout soucieux de conserver les droits que les communes de plus en plus puissantes leur disputaient souvent avec violence. Toutes les sectes religieuses florissaient en Italie : les amaldistes, ou disciples du réformateur Arnaud de Brescia, les vaudois, les pasagiens ou judaïsants. Mais les cathares étaient les plus nombreux et les plus influents. Une grande partie de la noblesse leur était acquise, et ils se sentaient forts de l’appui des cathares du Languedoc et des pays slaves. Ils avaient des écoles, enseignaient sur les places publiques, engageaient des controverses avec les clercs, et la Lombardie au début du XIII e siècle passait presque pour la terre de pèlerinage de tous les cathares d’Occident, qui s’y rendaient pour consulter des docteurs de leur secte et s’y faire accorder ou renouveler le consolamentum par des
Weitere Kostenlose Bücher