Le bûcher de Montségur
conscient de sa grandeur nationale.
Il serait difficile de croire que tout le peuple du Languedoc fût hérétique ; il est à peu près certain qu’il était, en 1229, tout entier anticatholique, puisque l’Église était devenue l’ennemi national. Le traité de Paris met sur le même plan l’Église et le roi de France ; qui donc pouvait, sans passer pour un traître, vénérer le pape, dans un pays où, depuis vingt ans, le nom de Français était devenu synonyme de bandit et de pillard ? Le roi ne s’était pas montré plus magnanime que Simon de Montfort. Et il était plus difficile à éliminer.
Raymond VII, quand il eut signé le traité qui livrait le pays à la France, ne perdit pas sa popularité : il fut considéré comme une victime. Un pays mutilé et dévasté par la guerre accueillait des sénéchaux et des fonctionnaires étrangers qui venaient abattre les murs de ses places fortes, occuper sa capitale pour rendre impossible toute velléité d’indépendance de la part du comte, prélever sur des terres déjà ruinées des impôts assez lourds pour paralyser la vie économique du pays. Tout cela se faisait au nom et sur l’ordre de l’Église. Une grande partie des impôts exigés (la moitié) allait revenir aux églises et aux abbayes, et les évêques, plus puissants que jamais, allaient être libres de prélever les dîmes et les redevances dont les intendants royaux sauraient faire exiger le paiement. Le Carcassès, le Razès, l’Albigeois, le pays narbonnais devenaient terres du roi – ce qu’ils étaient déjà depuis 1226, mais cette fois-ci l’annexion semblait définitive ; le Toulousain, le Quercy et l’Agenais dépendaient encore du comte de Toulouse, ce dernier étant sous la surveillance d’une garnison française installée dans la capitale. Revenu dans Toulouse invaincue et dont on allait de nouveau abattre les murailles, le comte était suivi par le cardinal-légat de Saint-Ange lui-même ; le légat entendait bien faire comprendre aux Toulousains et à tout le Languedoc que cette paix était avant tout la paix de l’Église.
Mais ce n’était pas une Église victorieuse qui s’installait pour régner en maîtresse dans un pays conquis ; c’était une Église vaincue. Les vrais vainqueurs – les croisés, le roi de France, et surtout la misère du peuple – avaient merveilleusement servi la cause de l’hérésie, et l’Église était si bien vaincue que seules les armes d’un occupant pouvaient lui faire partiellement sauver la face ; il lui fallait à présent commencer lai reconquête de ce pays par d’autres moyens que le recours au bras séculier ; et elle risquait fort de voir ! son action réduite à des menaces impuissantes, a moins d’inventer un nouveau système de contrainte, ; plus efficace que celui de la force armée.
La tâche n’était pas facile. Mais, depuis 1209, un profond mouvement de réforme à l’intérieur de l’Église lui avait permis de recruter parmi ses membres un grand nombre de lutteurs énergiques et décidés à tout pour faire triompher leur foi. Si leur activité allait ressembler davantage à celle de policiers qu’à celle de missionnaires, c’est qu’ils avaient affaire à trop forte partie, et qu’ils n’avaient plus guère le choix des armes. Pour désarmer la haine du peuple occitan, bonté, justice et modération ne leur eussent pas suffi ; il leur eût fallu tout bonnement disparaître. Leur charité ne pouvait aller jusque là.
II – LE CONCILE DE TOULOUSE
En novembre 1229 le cardinal-légat de Saint-Ange arrivait à Toulouse pour inaugurer avec la pompe et l’éclat convenables l’ère nouvelle de prospérité et de paix qui commençait à présent pour le Languedoc ; prospérité de l’Église catholique sous l’égide de la puissante et heureuse protection du roi de France, paix dans l’unité de la foi et dans la fidélité des seigneurs et du peuple à l’Église et au roi.
Une cérémonie solennelle eut lieu dans Toulouse même ; le comte dut de nouveau faire publiquement acte de soumission au légat, qui ne lui imposa pas une seconde flagellation mais ne s’en donna pas moins des airs de souverain absolu accordant par bonté à un sujet rebelle et repentant le pardon et la restitution partielle de ses domaines. Le texte du traité fut lu à haute voix et rendu public devant l’assemblée des évêques et des nobles du pays, qui prêtèrent le serment d’en respecter
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