Le bûcher de Montségur
l’exemple de la plus scandaleuse corruption.
À l’époque d’Innocent III, la Hongrie, la Croatie, l’Esclavonie, la Bosnie, l’Istrie, la Dalmatie, l’Albanie (de même que la Bulgarie, la Macédoine et la Thrace, d’obédience grecque) étaient des pays où la religion cathare jouissait de la plus grande liberté et souvent de la protection officielle des chefs de l’État. À la fin du XII e siècle, en Bosnie, le « ban » ou prince Kulin, gouverneur de cette province, était acquis à l’hérésie, ainsi que toute sa famille. En Dalmatie, le diocèse de Trugurium était un des grands centres du catharisme, connu non seulement dans les Balkans mais en Europe occidentale ; dans les villes de Split, de Raguse, de Zara, presque toute la noblesse était hérétique. Non seulement la Bulgarie, pays d’origine du catharisme, mais Constantinople même avait un évêché cathare des plus importants. Dans ces pays les évêques eux-mêmes manifestaient de la sympathie pour les doctrines cathares, tels Daniel de Bosnie, ou Arrenger, de Raguse.
Dès l’avènement d’Innocent III les évêques des pays slaves, effrayés par les progrès de l’hérésie, tentèrent d’intimider les adversaires par des persécutions, puis par des appels aux princes. Le roi de Hongrie, fidèle au pape, tenta d’exercer une pression sur le ban de Bosnie, qui fit quelques concessions apparentes ; mais son successeur Ninoslas protégea les cathares plus ouvertement encore et fit nommer un hérétique au siège épiscopal vacant par la mort de Daniel. La Bosnie devint officiellement hérétique, aucun service catholique ne fut plus célébré dans le pays, et à partir de 1221 cette province fut une des terres d’élection du catharisme et offrit refuge et secours aux cathares persécutés des autres pays.
Innocent III faisait cependant des efforts pour convertir les Bulgares, soumis à l’Église de Byzance et où les cathares ou bogomiles étaient particulièrement nombreux : après avoir couronné le tsar bulgare Kalojan, qui s’était soumis à Rome pour bénéficier de l’aide du pape contre les Grecs, Innocent III vit son protégé accorder sa protection aux seigneurs hérétiques de sa province ; Jean Azen, tsar de Bulgarie à partir de 1218, laissa aux cathares pleine et entière liberté de prêcher et d’exercer leur culte.
En Hongrie, les rois Émeric, puis André II, sincèrement catholiques et poussés par les papes Innocent III, puis Honorius III, tentèrent à plusieurs reprises d’exterminer l’hérésie dans leur pays. Avec leur aide, les évêques et les légats menèrent une lutte serrée contre les cathares de Bosnie et, en 1221, le moine hongrois Paul fonda un couvent de Frères prêcheurs à Raab ; mais dès leur première mission en Bosnie, trente-deux Dominicains furent noyés dans la rivière par la foule exaspérée par leur prédication. Et malgré l’apparente soumission du ban Ninoslas, l’hérésie resta si puissante dans cette province qu’en 1225 Honorius III fit prêcher une croisade ; sans succès d’ailleurs. L’archevêque de Colocza donne deux cents marcs à Jean, seigneur de Sirmie, pour l’engager à prendre la croix, et encore ne parvient-il pas à l’y décider ; seul le roi de Hongrie, Coloman (fils d’André II), tente une action militaire en 1227, sans grand résultat.
Pour contrebalancer, en Bosnie, l’influence de l’unique évêque (lui-même passé à l’hérésie), le pape institue un second évêché, où il place le Dominicain allemand Jean de Wildeshusen, lequel se rend vite impopulaire par ses violences. Pour réduire à l’obéissance le ban de Bosnie, le pape fait appel au duc Coloman d’Esclavonie, comme naguère, pour le Languedoc, il avait fait appel au roi de France ; Coloman, à la tête d’une nouvelle croisade, obtient ou prétend avoir obtenu quelques succès (1238), mais l’hérésie n’en semble nullement ébranlée. Le pape envoie un nouvel évêque dominicain qui, deux ans plus tard, découragé, abandonne son poste.
Si dans les pays slaves l’hérésie était forte au point de faire (suivant les circonstances politiques et les convictions des souverains) figure de religion officielle, son succès s’explique par l’opposition naturelle des peuples slaves à l’emprise de Rome, par l’affaiblissement de l’autorité de l’Église grecque (qui, si elle était tout aussi stricte que l’Église romaine sur le
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