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Le cadavre Anglais

Le cadavre Anglais

Titel: Le cadavre Anglais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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foule des courtisans s'assemblait sur trois côtés. Nicolas, chasseur émérite, en connaissait les usages. Du pain avait été mélangé dans un grand plat avec du fromage découpé en petits morceaux. On l'avait alors arrosé du sang du cerf, puis mêlé de lait chaud. Dessus, les valets étendaient le cuir et les morceaux de la bête avec son massacre, la carcasse bien vide et bien nette pour ne pas blesser les chiens. Des flambeaux s'allumèrent, on sonna le forhus 134 . La meute approchait, réjouie de toute cette animation. À coups de houssines des valets la tenaient à distance. Soudain le roi apparut en chemise au balcon qui faisait le tour de l'attique. Son geste déclencha les cris du taïaut . Les chiens s'élancèrent dans un désordre de cris, de jappements et de bruits des franches lippées. Les trompes sonnaient, accompagnant cette scène farouche. Sartine, sans que l'intéressé s'en aperçût, s'était approché de Nicolas. M. Thierry s'interposa et tira Nicolas par la manche. Il le conduisit au premier étage vers les cabinets privés du roi. Nicolas fut introduit dans une pièce et se souvint aussitôt y avoir rencontré le feu roi. La pièce en effet était l'ancienne salle de bains de Louis XV. Le jeune roi l'avait transformée en une retraite pour tenir ses comptes. Les scènes dorées représentant des baigneurs et des leçons de natation rappelaient l'ancienne destination des lieux.
    Le roi dominait de sa haute taille cet endroit modeste au plafond bas. Impénétrable, il observait sans un mot une émotion que Nicolas ne dissimulait pas. Cela fit diversion et intrigua le souverain.
    — Ranreuil, mon ami, comment vous portez-vous ?
    — Que Sa Majesté me pardonne… J'ai jadis rencontré votre grand-père dans cette pièce et…
    Charmé de la confidence, le roi sourit.
    — C'est vrai que vous vous succédez auprès de vos maîtres.
    Il s'assit dans un fauteuil canné de bois doré tapissé de damas rouge. Dans cet espace confiné, Nicolas percevait des odeurs de sueur, de cuir et de cheval. Le roi, pensif, se massait la jambe. Ce n'était pas au visiteur debout d'ouvrir la conversation. Cependant, le silence risquant de perdurer, Nicolas se hasarda.
    — Les chiens semblaient harassés.
    Le roi soupira, étendit les jambes et saisit volontiers la perche tendue.
    — Il nous a menés loin et longtemps. Il y a eu un change à la croix des Moines, une moindre bête qui a coupé la chasse. Les chiens de tête ont suivi et les autres, en défaut, ont perdu la voie. J'ai rejoint le cerf dans ce terrain bourbeux. Il avait le cimier 135 enfoncé dans la boue. Je n'avais plus que deux chiens avec moi. Je suis descendu de cheval. Il balançait la tête et, sur ce terrain en pente, mon pied a glissé. Il m'a frappé à la cuisse, me faisant tomber, avant que je le serve .
    Il se frottait toujours la jambe.
    — Que Votre Majesté essaye un alcool blanc, de fruit. Une serviette enveloppante la nuit durant. Demain il n'y paraîtra plus !
    — Vraiment ? dit le roi riant et détendu. Si Ranreuil le dit. J'essayerai. Je ne sais ce que M. Lieutaud, mon médecin, en penserait.
    Il y eut un grand silence. Il semblait que le roi hésitât à parler. Nicolas aurait juré qu'il allait encore différer le vif du sujet.
    — Avez-vous des nouvelles de Naganda 136  ?
    — Je ne les reçois qu'au bon plaisir du roi.
    — C'est ma foi vrai. Il nous écrit avec fidélité et précision. Pour lui nos anciens sujets, ceux venus du royaume, se sont, pour la plupart, accoutumés à la domination anglaise qui leur procure des facilités dans leur commerce… Il en est, selon lui, tout autrement des Indiens dont les chefs souhaiteraient notre retour. Cet attachement me touche.
    Que pouvait dire Nicolas ? Son roi réfléchissait à haute voix devant lui à une question dont dépendait aussi la paix ou la guerre.
    — M. de Vergennes m'assure que c'est dans l'intérêt de la France de ne pas laisser les Insurgents envahir le Canada. L'existence de la colonie constituerait dans le voisinage des Américains une menace permanente. Aussi resteraient-ils fidèles à notre éventuelle alliance… Nous les aidons… pas autant qu'ils le souhaiteraient. Que dit le peuple de cette question ?
    — Votre Majesté connaît l'hostilité de ses sujets à l'ennemi anglais et leur désir de tenir un jour notre revanche du traité de Paris.
    Le roi rêva un moment.
    — Sommes-nous prêts ? Sartine s'évertue à la

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