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Le cadavre Anglais

Le cadavre Anglais

Titel: Le cadavre Anglais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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Marine… Il n'est point encore temps… Ranreuil, je vous ai fait appeler…
    Le prélude s'achève, songea Nicolas.
    — … pour vous montrer un objet.
    Il ouvrit le tiroir du bureau et en sortit avec précaution une forme allongée dans une housse de velours bleu. Il la posa sur la tablette et la débarrassa du tissu qui l'enveloppait.
    — Ranreuil, quel est cet objet selon vous ?
    — Sire, je vois une canne brune avec un pommeau d'ivoire.
    — Vos sens vous abusent, reprit le roi avec un air taquin quasiment enfantin.
    Il entreprit de dévisser le pommeau et en sortit une seconde canne, blanche cette fois, et percée de trous.
    Nicolas demeurait interdit à la grande joie du roi.
    — Ma surprise première fut égale à la vôtre.
    Son expression se fit plus grave.
    — Sans doute êtes-vous informé du souci de la reine. J'en ai été éclairé par Thierry. Cela prend la dimension d'une affaire d'État. On ne conçoit guère comment tout cela a pu s'agencer et comment la bonne foi de la reine a pu être aussi abusée.
    Nicolas peinait à suivre les méandres de la réflexion royale. Il lui paraissait qu'on venait de changer de sujet et que d'un objet étrange on était passé à la question brûlante des dettes de la reine. Il se mit à préparer sa réponse. Pourtant Thierry ne paraissait pas.
    — Enfin, poursuivait le roi, comment peut-on imaginer qu'un objet de cette nature, dont il ne doit exister que peu d'exemplaires, ait pu disparaître pour se retrouver dans le salon de la reine ? De quelle manière ma tante Adélaïde a-t-elle pu en faire présent à ma femme et dans quelles conditions s'en est-elle trouvée en possession, Balbastre servant d'intermédiaire ? Concevez que le bruit s'en soit répandu et que le ministre de Prusse ait saisi Vergennes, l'objet ayant été dérobé par une inconcevable audace dans les cabinets du roi Frédéric à Sans-Souci ! Et que cet objet réapparaisse à Versailles… Chez la reine ! Cela désormais nous menace d'un scandale et du discrédit. L'équilibre des alliances peut en être offensé, le nom et la réputation de la reine entachés, l'honneur de la couronne et l'autorité de l'État compromis.
    — Votre Majesté pourrait-elle m'éclairer sur la nature de cet objet ?
    Le roi porta l'extrémité de la chose à sa bouche et souffla dedans, en tirant un son strident. À nouveau le jeune homme reparut sous le masque du souverain ; il éclata de rire devant la mine déconfite de Nicolas.
    — Oui, oui, une flûte, Ranreuil. Qui l'eût cru ?
    Il sortit un petit feuillet du tiroir et chaussa ses bésicles.
    — Le baron de Golz, ministre de Prusse, a remis à Vergennes ce descriptif : «  Dans un étui tabulaire en bois et os, une flûte tournée d'une seule pièce dans une dent de narval , un poisson licorne des mers boréales, finition marbre. Elle est flûte , notez-le, uniquement dans sa partie haute et hautbois dans sa partie basse, percée d'un double trou pour du sol, une clef de laiton courbe et forme trapézoïdale est montée sur une moulure en ivoire réversible donnant le mi sur la flûte ainsi que sur le hautbois, un capuchon à vis protège l'emplacement de l'anche, le pommeau en ivoire est également décoré imitation marbre, son joint avec la défense étant dissimulé par une bague en métal doré avec en dessous la marque SCHERER et le lion dressé 137 . » Il paraît, acheva le roi avec malice, que la dent de narval est la panacée universelle contre les poisons. Elle permet de déceler leur présence. Mais celle-ci est un poison en elle-même ! Ranreuil, reprit-il après un temps de réflexion, nous entendons que vous tiriez notre épingle de ce jeu dangereux. Je sais trop de gens dans cette cour, avides de… et je lis chaque semaine, apportés par M. Lenoir…
    L'amertume lui crispa le visage.
    — … trop de libelles, de pamphlets ignobles pour imaginer ce que cette affaire…
    — Sire, dit Nicolas qui souffrait pour le roi, Votre Majesté peut être assurée que tout sera accompli afin d'éviter ce qu'elle redoute.
    Il hésita avant de poursuivre. Un propos de Mme Campan résonnait dans sa tête qui éclairait beaucoup de choses.
    — Je dois à la vérité et à la loyauté d'avouer à Votre Majesté que j'ai quelques soupçons sur l'origine de cette machination, car l'objet n'a pu parvenir dans les mains de la reine sans qu'une volonté mauvaise ne lui en facilite l'accès. Je ne peux dissimuler au roi que la

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