Le cadavre Anglais
insistance, Bourdeau prêtait l'oreille.
— Pourtant, monsieur, reprit Nicolas prêchant le faux, le quartier prétend que son arrestation fit grand bruit. Voitures, flambeaux, chevaux, toute une troupe et des cris ! Tout un esclandre !
M. Le Roy, écarlate, s'emporta.
— Mais… Mais… c'était là justement … Allez au diable !
— C'est en effet le destin des menteurs. Que savez-vous exactement, monsieur Le Roy ?
— Et vous-même ? Il est facile de se prétendre l'émissaire de M. de Sartine, mais il est étrange d'interroger sur des faits qu'on devrait connaître !
— Voilà, monsieur, un rebèquement bien soudain et le raisonnement qui va vous conduire sur l'heure dans l'un de ces cachots les plus morfondants de la Bastille. Si vous m'en croyez, parlez et videz votre cœur alors qu'il en est encore temps !
Tout en parlant, il agitait sous le nez du malheureux une lettre de cachet tirée de son gilet.
— Voyez, elle est signée par M. Amelot de Chaillou, ministre de la maison du roi, avec un blanc qui reste à remplir. Tout sera consommé en un instant et environné de ténèbres avant même que vous y songiez, autant que persisteront vos réticences. Écoutez mon conseil et ne vous interrogez pas sur l'étrangeté d'une situation dont dépend la sûreté du royaume. Lorsque la résistance est inutile, et je dirais criminelle, la sagesse est de se soumettre en fidèle et obéissant sujet du roi. Vous le demeurez comme moi-même, j'en suis convaincu. Portez un peu de lumière sur ce justement .
Accablé l'horloger se soumit.
— Il fallait, pour des raisons que j'ignore, que l'arrestation fît du bruit.
— Merci, monsieur Le Roy, vous êtes un honnête homme. Maintenant nous allons parler à votre filleule et à votre ouvrier. Je vous prie d'indiquer à l'inspecteur Bourdeau où il les peut trouver. Quant à vous, je vous demanderai de vous retirer en attendant.
— J'ai là derrière une pièce où je travaille la nuit sur mes expériences. Je vais y aller.
Le Roy se retira, tirant une porte de boiserie derrière lui. Bourdeau, après s'être entretenu un instant avec lui, disparut dans les profondeurs de la maison. Nicolas observa un moment l'animation de la rue jusqu'au moment où une jeune femme, dont la beauté simple le frappa, entra dans la boutique. Les cheveux blonds noués et relevés sur la tête dégageaient un visage fin éclairé par des yeux bleus tirant sur le violet. Elle portait une robe brodée de soie crème avec un fichu sur les épaules. Elle se frottait les mains, l'air contrarié, faisant ainsi tomber des paillettes sur le devant de son vêtement. Elle considéra Nicolas, le fixa dans les yeux et esquissa une révérence.
— Monsieur, pardonnez-moi de me présenter à vous dans cet état…
Elle considéra ses mains, dépitée.
— … mais je limais une pièce délicate. Il faut vous dire que j'aide parfois mon parrain qui n'a plus très bonne vue. J'adore cela ! Mais…
Elle jeta un œil en arrière sur Bourdeau, en se mordant l'intérieur de la bouche.
— … monsieur m'a dit de venir vous trouver.
— Mademoiselle, dit Nicolas, vous êtes au fait des raisons qui motivaient la présence du jeune Peilly en France ?
Elle rougit, baissant les paupières.
— En partie, monsieur.
— Vous en êtes-vous entretenus tous les deux ?
— Il était des plus discrets. Il évoquait plutôt sa vie en Angleterre.
— Bon ! Qu'en disait-il ?
— Orphelin, il avait été recueilli par son oncle. Après une enfance aussi malheureuse, il souhaitait voir le pays de ses parents qu'on lui décrivait comme un repaire d'iniquités.
— Depuis son départ, vous a-t-il donné de ses nouvelles ?
Elle rougit.
— Non, hélas !
Il nota l'expression de cette déception.
— Vous l'avait-il promis ?
— Il espérait qu'un jour nous pourrions nous revoir.
— Abricots de Vitry , jeta soudain Nicolas d'un ton égal.
Le résultat de cette tentative fut éloquent ; elle rougit derechef et des larmes perlèrent à ses yeux.
— Que dites-vous là, monsieur ?
— Ces mots ont donc un sens pour vous ? dit-il en lui tendant un mouchoir dont elle se tamponna fébrilement les yeux.
— Ah ! Que vous me faites du mal !
— Ce n'est, mademoiselle, aucunement mon intention. Que signifient ces mots pour vous ?
— Monsieur, vous me paraissez un honnête homme. Vous n'en direz rien à mon parrain. Sous cet abricotier de Vitry, nous
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